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Lun 19 Nov - 17:27
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Candide ou l’optimisme, aurait raillé le jeune homme s’il avait seulement su que ce livre existait. Car l’optimisme semblait être le mot clef de la soirée, ignoré, contourné, bafoué par leurs paroles plus noires les unes que les autres. Cette soirée ne serait pas meilleure que les autres, pas plus à marquer d’une pierre blanche qu’une autre nuit de beuverie intempestive, mais pour autant ne s’effectuait-elle pas avec pour seule amie la bouteille vide qui croulait au bas d’un canapé. Le sourire du plus jeune s’était teinté de plus d’insolence, et c’était sûrement ce même sourire qui donnait à l’époque envie à certains camarades de lui tirer des gifles. L’art du sourire torve s’était perfectionné avec les années, et il le jaugea un instant du regard alors que Grenouille détournait le sien, derrière-lui, et il dût se faire fureur pour ne pas se retourner tout de suite. Qu’y avait-il donc, là-bas, qui puisse retenir l’attention d’un homme bourré jusqu’à la moelle ?

Il prit une gorgée de plus, lent, savourant sans doute plus que ne l’avait fait l’autre homme depuis des années. Pour l’un, l’alcool était tout au plus une douceur au même titre que du sucre, pour l’autre il s’agissait d’un beau poison dont le goût pouvait après tout bien crever. Sans intérêt. Ainsi donc, l’animal était croyant. Peut-être. Il n’en semblait lui-même pas persuadé, pas intimement certain de qui adorer, et le blond ne pouvait que hausser les épaules à ses paroles, sceptique.

-Je crois que je ne crois pas. En rien. En personne. Et si un Dieu existe, il a foiré, à un moment ou un autre.


Tout en marmonnant ces paroles sans grande conviction, et alors que sa main s’agitait comme pour chasser un sujet trop escarpé pour qu’il ne s’y risquât serein, il finit par tourner les yeux vers ce que fixaient les prunelles métalliques depuis quelques minutes. Au départ, il chercha quelqu’un, mais comprit bien vite qu’il s’agissait de l’instrument. Musicien, peut-être ? Cela fut confirmé lorsqu’il posa sa question, et Kyle lâcha un ricanement bas :

-Je n’ai pas eu la chance de croiser des éclairés aux avis tranchés et à la langue habile, pour ainsi dire. La pluie et le beau temps sont les seules conversations qu’ils ont, et c’est d’un ennui terrible.


Il y avait bien cette fille, là-bas, sur la falaise, qui relevait un peu le niveau, mais ni son employeur, ni ceux à qui il avait daigné adresser quelques mots n’avaient su faire vibrer son esprit comme le faisait celui-ci. Là, pathétique, et pourtant tellement mieux. Et Kyle n’avait pas eu la chance -il l’avait cherché, il fallait l’admettre-de fréquenter des personnes cultivées, des parleurs et des intellectuels ; aussi se raccrochait-il à chaque petite occasion, quand bien même elle lui rappellerait combien il souffrait de lacunes culturelles. Dyonisos ? Inconnu au bataillon. Evident. Et très frustrant. Il se laissa couler au sol, délaissant le tabouret, avec une souplesse qui dénotait de combien il était frais et clair par rapport à son camarade. Ses yeux brillaient.

-Je doute qu’il ne soit là qu’en guise de décoration…
(Il marqua une pause.) Et même si c’était le cas, je pense qu’il suffirait d’un seul de tes sourires pour te mettre l’autorisation d’exercer tes talents dans la poche.

D’un geste du menton presque moqueur, il indiqua la serveuse qui demeurait en retrait, mais qui devait sûrement vivre son échec avec une certaine amertume. Il n’avait pas de doute quant au fait qu’il n’y aurait que peu d’efforts à fournir pour obtenir d’elle ce que l’on souhaitait. Manipulable. C’était écrit sur son front, depuis l’instant où elle avait laissé couler le fait qu’il était mineur.

-Je n’ai pas entendu de piano depuis des années.


Et cette remarque se fit d’une voix plus basse, plus douce, alors qu’il enfonçait négligemment ses mains dans ses poches, étirant ses jambes engourdies d’avoir trop longtemps été dans la même posture.
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Lun 19 Nov - 18:41
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L'autre se mit à sourire de manière obsolète, presque ostentatoire, et Charles entendit soudain résonner au fond de son esprit engourdi deux syllabes bien distinctes, d'un lieu qui lui était inconnu et pourtant si familier. Taulard. Il n'avait pas fait de prison. Quelques gardes à vues et de nombreuses nuits en cellule de dégrisement ; mais le sourire de son compagnon lui rappelait un autre endroit, bien moins amusant (il y avait toujours de quoi s'amuser en dégrisement, surtout entre trois et six heures du matin). Il avait connu pas mal d'ex-taulards ou de prisonniers à en devenir, lors de ses quelques semaines (mois ?) en désintoxication. Des types étonnamment propres, sûr d'eux, et ce même sourire sensé tenir à l'écart. Il n'y avait aucune démarche d'amadouement ni de gentillesse derrière ce sourire-ci. Seulement de la provocation et un immense besoin de rester en vie.

En vérité, toutes ces pensées n'avaient pas beaucoup de sens, mais Charles avait désormais pénétré le stade d'alcoolisme où il ne savait plus ce qu'il faisait. Il se mit à rire d'un gloussement froid et sans âme.

- Je pense que Dieu, qu'importe qui il est, a seulement opéré pour la création de la conscience. Même pas de la vie, ça c'est le délire de la science, mais la conscience ? Seigneur, personne a jamais été capable de percer ce secret à jour. Impénétrable. Inexorable. Un exemple de perfection défaillante, un système infiniment complexe. Une merveille.

Il écouta son ami de comptoir parler, soudain animé d'une envie terrible de poser ses mains sur le clavier. Il jouait si peu, en ce moment. Son temps était accaparé par les cours, les escapades alcoolisées et les sommeils comateux trop peu nombreux existant seulement grace à une consommation massive de somnifère. Il avait bien un petit piano électronique dans sa chambre, un truc pourri au son affreux qu'il avait essayé de trafiquer pour changer la fréquence du La, mais le clavier était recouvert de papiers, de bouteilles vides, de partitions imbibée de liquide non identifié.

Il entreprit de descendre de son perchoir. Sans aucune gène, car le taux très élevé d'alcool qu'il avait dans le sang ne permettait pas ce type de sentiments bas de game, il se rattrapa au dernier moment au bras de l'illustre inconnu avec un petit rire étouffé, et tenta de se remettre debout. La pièce était prise de torsions assez spectaculaires et le piano était sacrément loin. Il entreprit de tituber jusqu'à la petite scène qui était dressée au fond de la pièce, sans vérifier si l'autre le suivait.
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Lun 19 Nov - 19:17
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C'était véritablement fascinant. Il fallait le vivre pour le comprendre, et peut être certains ne comprendraient-ils jamais. Assister au déclin d'une personne, verre après verre, comme on admirerait une fleur qui se fane jusqu'à ce que son dernier pétale ne s'échoue au sol. Sacrée fleur qu'il avait là. Ce rire n'avait rien de beau, rien de chaleureux, mais il ne broncha pas. Il ne bronchait jamais, de toute manière. Pour cela, il fallait se soucier des gens, et ce n'était pas son cas. Il n'était qu'un spectateur, un voyeur en certains aspects. Il avait du mal à suivre son train de paroles, cette fois, malgré toute sa bonne volonté -limitée- et son application. C'était trop philosophique à ses yeux, embrouillé par la voix lasse et sans teint. À grands renforts de Dieu, de conscience et de sciences, l'alcoolisme venait de perdre un Kyle perplexe, qui arquait un sourcil avec un air des plus intrigués.

Il fut surpris de sentir la main de l'aîné se refermer autour de son bras, et manqua d'en sursauter. Il n'appréciait pas le contact outre mesure, ou du moins essayait-il de s'en persuader. Trop d'années passées sans affection, sans être touché plus que nécessaire, et il se convainquait maintenant qu'il n'en nécessitait pas. C'était faux, en un sens. Mais personne n'était supposé le savoir, et il comblait très bien son manque de chaleur avec ces peluches ridicules qu'il entreposait avec soin au pied du lit. Comme un honteux secret, un vice étrange dont il ne pouvait se débarrasser. Déjà, l'autre s'éloignant, et le jeune homme fut un instant convaincu qu'il allait s'écraser au sol, un peu plus à chaque pas. Il tanguait, vacillait, et seul un miracle le maintenait debout. Un miracle, ou l'habitude. Et Kyle lui emboîta le pas sans un mot, trottinant, sous le regard ennuyé de la serveuse qui ne fit pas mine d'arrêter leur migration du comptoir au piano, mais les surveillait du coin de l'œil.

-T'en joues depuis longtemps, au fait? Ou je dois me préparer à une agression auditive?


Il l'aurait bien questionné sur ces histoires de conscience, mais pour être honnête, il n'était pas certain d'en comprendre un traître mot. Un jour, peut être, plus renseigné, il irait se lancer dans ce débat houleux, mais c'était hors de sa portée en l'état actuel des choses. Alors il se contenta de se caler près du piano, lequel venait d'être atteint par le poète. Face à l'instrument massif, le Grenouille du jour paraissait encore plus abîmé. Il avait la ferme impression qu'il aurait suffit de sa part d'une pauvre petite bousculade pour qu'il ne finît au sol, saoul ou non. Il avait du mal à jauger de si ce corps au supplice possédait une quelconque force outre que cette volonté farouche de se détruire tout seul.

Il demeura silencieux, après son innocente question, jetée à la volée. La curiosité. C'était ça qui l'animait, toujours un peu plus. Curiosité d'entendre les premières notes, couplée à l'impatience. Curiosité de voir des doigts de pianiste à l'œuvre. Curiosité plus mal placée de voir si un homme dans un pareil état d'ébriété était capable de jouer.
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Lun 19 Nov - 19:40
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Il était vrai que la curiosité de ce garçon semblait sans limite. Comme s'il se nourrissait des détails, des explications, des sous-entendus comme un vampire se nourrit du sang de ses victimes. Charles n'était qu'une énième victime de ses yeux aussi coupants que deux scalpels aiguisé et de sa mémoire qui devait sans nul doute tout enregistrer au fur et à mesure. Peut être à de mauvaises fins. Peut être pour retourner ses paroles contre lui. Mais le garçon était si saoul que même sa légendaire paranoia restait en retrait. Il s'installa sur le siège du piano, se plaça face au clavier et eut une petite seconde d'absence alcoolisée où son regard se perdit sur un point vague sur le mur du fond de la pièce. Il se frotta le visage, se rendit compte que ce qui le perturbait était la hauteur du tabouret. Avec une infinité de difficulté, il entreprit de se baisser vers la droite pour accéder au mécanisme du siège.

Le mouvement soudain parut déplaire à son pauvre estomac et il se releva avec une main sur la bouche, le teint vert. Quelques secondes d'attente, histoire que ses yeux refassent la mise au point, et il ajusta à l'aveugle la hauteur du siège. Il ne se sentait pas au mieux de sa forme.

- Je joues depuis que j'ai cinq ans, à peu près. Un des seuls héritages parentaux était le piano à queue du salon.

Il posa ses mains sur le clavier et elles prirent instinctivement la position attendue. Il les laissa suspendues à quelques centimètres au dessus des touches, essayant de rassembler ses pensées pour ne pas jouer quelque chose se rapprochant plus de Vozzeck que du Mariage de Figaro.

Il joua une game simple, lente, histoire de se faire les doigts. Peu à peu, les mouvements mélodiques se diversifièrent et il enchaina sans transition sur l'Appassionata de la sonate 23 de sieur Beethoven. Le début, sombre, étrange, imageant une forêt en pleine nuit. Et puis l'explosion grave, laissant ensuite place à une même note répétée encore et encore, entrelacée au thème qui suit juste ensuite.

Quel tableau offrait-il, ici ? Un pauvre type mal en point, son verre qu'il n'avait pas oublié d'emporter posé sur le piano et sa posture approximative, courbée, signe principal de la fatigue extrême qui l'éreintait. Son jeu était un peu brouillon, les passages martelés faisaient preuve d'une certaine mollesse, mais l'esprit y était et il ne rata pas une note jusqu'à l'arrivée du second thème où il se sentit divaguer. Il s'arrêta assez brutalement, les joues en feu. Quelques personnes offrirent des applaudissements timides dans la salle. Il ne leur adressa pas un regard et plongea sa tête entre ses mains. Oubliée, la présence du bar, la présence de cet inconnu. Il essaya de garder le fil de sa conscience intacte et de ne pas s'échouer misérablement sur le sol.
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Lun 19 Nov - 20:10
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C'était pitoyable, comme entrée en matière, et le plus jeune ne fit pas mine une seule seconde de lui prêter main forte pour se sortir de sa misère. Régler un tabouret n'aura jamais été aussi laborieux, et il fixa bien évidemment chaque étape de cette lutte silencieuse avec une attention plutôt relative. Il était déjà surpris de le voir pencher ainsi vers la droite sans finir droit sur le sol, et c'était une bénédiction que de le voir encore vissé à son support comme une pauvre plante jetée là au gré du vent. Ironie du sort, il en prit la couleur en se redressant, et Kyle eut un discret mouvement de recul au cas où les choses en viendraient à devenir écœurantes. Entendez par là, si l'estomac rempli d'alcool en venait à se déverser à l'endroit même où son propriétaire se trouvait. Le verre emporté avec soin narguait définitivement cette nausée, qui plus est, et le spectacle était d'une tristesse incommensurable pour quiconque se serait un peu soucié du fond de la situation. Ce n'était pas le cas. Ce n'était jamais le cas.

Depuis qu'il avait cinq ans. Il en apprenait, des détails, ce soir. Cette nuit, même, en vue de l'heure le soir était depuis longtemps oublié. Alors il observa, acquiesçant vaguement tout en sachant qu'il ne le réaliserait pas dans son état. Il observa ces mains élégantes, qui demeuraient au-dessus des touches avant d'enfin les effleurer, d'y toucher avec plus d'assurance au fil des notes. Il n'était pas connaisseur. Il n'y connaissait rien, même, et n'aurait su différencier un morceau de l'autre, un virtuose d'un simple bon pianiste, mais il savait simplement qu'il apprécia la mélodie qui emplissait le bar. Cela avait l'aspect d'un bel envoûtement, et il n'était pas le seul à avoir délaissé tout le reste pour écouter d'une oreille indiscrète. Des applaudissements ponctuèrent la fin abrupte, et il se surprit à regretter ne pas en avoir plus. Peut-être qu'il aimait bien le son du piano. Il l'ignorait. Il ignorait beaucoup de points, sur lui, sur les autres et le monde. Il n'avait pas grandi comme il l'aurait dû.

Ces mains qui dansaient habilement sur le piano masquaient désormais son visage, et le plus jeune afficha une moue légère, indescriptible. Oh, cette fois, il la sentait proche, la fin. La fin du jeu, la fin du bar, la fin de toute conscience qui pouvait subsister après tant de poison consommé allègrement toute la soirée. C'était même étonnant qu'il n'ait pas déjà sombré dans un coma éthylique en bonne et due forme. Il n'esquissa pas un geste, tout d'abord, avait à peine eu le temps d'apercevoir des joues écarlates. Il demeurait, mains dans les poches, comme une ombre qui veillait. Veillait sur quoi, au juste? Sur son bien-être, pensaient sûrement les gens qui reprenaient leurs conversations, et la serveuse qui ne cessait d'observer. Ou lui-même comme un de ces vautours qu'il méprisait, attendant de voir ce qu'il resterait à la fin.

Pourtant, il finit par faire basculer son poids d'une jambe sur l'autre, approchant de fait de l'animal blessé que semblait être cet homme inconnu, étranger. Il était tombé dans l'oubli, mais lui ne l'avait pas oublié. Ses doigts, plus froids qu'ils ne devaient l'être -il n'était pas bien frileux, mais le bar n'était pas d'une chaleur inouïe-, glissèrent sur une épaule, atteignirent la jonction avec le cou jusqu'à effleurer une peau surchauffée. Un instant, il songea qu'il aurait été bien aisé de serrer à lui en faire mal. Le réveiller pour de bon. Au lieu de quoi, il n'en fit rien.

-Théâtrale, comme dernière bribe d'énergie avant de t'écrouler. Un pianiste achevé par son piano...


Il envisagea un instant l'idée qu'il puisse lui envoyer la main dans la gueule, dans l'état où il était. Mais il ne craignait pas cela. Il ne le craignait plus. Et lutter contre un homme saoul était une promenade de santé, qui plus est. Il avait l'atroce sensation qu'il pouvait briser ses os en le serrant trop fort. Mais il poussa son audace. Chercha à le reconnecter, pour inconsciemment éviter qu'il ne défaille pour de bon.

-Tu joues bien. J'attendrais la version longue.

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Lun 19 Nov - 20:42
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Un instant, il n'entendit plus rien. Ni les chuchotements ténus des buveurs du bar, ni la conversation ennuyeuse de la serveuse, ni même le tic tac de l'horloge qui l'avait obsédé toute la soirée. Il s'enfuit dans une longue errance solitaire au cœur d'un monde obscure, peuplé de silhouettes sombres et fantomatiques et au silence étonnamment hostile. Peut être qu'il se mit à rêver à moitié, dans un état de malaise étrange qui s'approchait de la transe. Il vit Francis ; Francis n'était pas la première personne à laquelle il aurait pensé. Francis et ses longs costumes noirs, son teint pâle, semblable à un grand oiseau bicolore avec sur le sommet du crâne une touffe rousse éclatante et un style très particulier. Cette scène, celle qu'il voyait défiler devant ses yeux, ce n'était pas un souvenir. Plutôt une vision du futur. Francis, vieux - peut être pas tant que ça, mais qui avait l'air proche de la mort - dans un fauteuil roulant, toujours habillé pareil, sa chemise blanche immaculée et son pince-nez. Charles était immobile, tout près de lui, assis sur son lit, et il lui parlait de la fois où Bunny avait fait basculer la barque dans le lac de chez lui. Il parlait d'une voix monotone et faisait fumer Francis, qui semblait trop faible pour ne serait-ce que lever un bras.

Les voix étouffées se transformèrent peu à peu en un ronronnement grave, qui prit de plus en plus d'ampleur jusqu'à devenir assourdissant. Il sentit une main sur son épaule et revint peu à peu à la réalité. Il se souvint alors du bar, de l'inconnu et du piano. Achevé par le grand Beethoven, fauché en pleine jeunesse par les excès en tout genre. Si on avait pris les paris, on ne lui aurait pas donné plus de deux ou trois ans à vivre. Mais parfois il arrive à la plèbe de miser sur le mauvais cheval. Pourtant, ici, les faits semblaient leur donner tous raison.

Il entendit sans la comprendre la remarque de l'inconnu et releva la tête. Ses yeux restèrent bloqués au niveau des touches ; toute la vie s'y était enfui et il n'avait plus l'air qu'un pantin désarticulé, vidé de son âme.

- Donne moi une minute. J'me sens pas très bien.

Il se retourna lentement sur son tabouret en s'y tenant fermement. Ses yeux commençaient à s'habituer à nouveau aux formes vagues de la pièce. Il distinguait les couleurs. C'était déjà ça.

- J'ai besoin d'air, dit-il d'une voix blanche.

Toute la question reposait sur la probabilité qu'il arrive à atteindre la porte avant de se rétamer misérablement devant le comptoir.
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Lun 19 Nov - 21:08
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Il avait un air tellement hagard qu'il en aurait fait pleurer plus d'un. Deux grands yeux gris, cernés, comme deux miroirs sans teint, sans éclat, que le plus jeune scrutait sans plus d'émotion. Il ne connaissait pas la pitié, l'avait en horreur, mais ressentait en revanche une certaine forme de sympathie envers cette épave humaine qui se raccrochait à ce pauvre tabouret, devant un piano, dans ce bar qui ne l'avait que trop vue. Il n'avait pas d'empathie, mais pouvait en revanche certifier qu'un certain attachement suffisait parfois à lui tirer quelques réactions qu'on qualifierait arbitrairement d'humaines.

-Tu m'étonnes... T'as l'air d'un bien beau cadavre.


Il exagérait à peine l'image. Ce n'était pas nécessaire. Seules les joues trop rougies trahissaient une certaine forme de vie, là-dedans, dans ce corps qui ne bougeait que grâce à quelques efforts de volonté dont il était encore capable. Il la lui laissa, sa minute, regarda la façon qu'il avait de reprendre ses marques pour peu qu'il le put encore. Sa main demeurait sur l'épaule de cette loque qu'il avait catégorisée dans la case des gens qui valaient la peine qu'il s'intéressât à eux un minimum. Quel dommage, s'il finissait mort dans un caniveau. Bouffé par des SDF, éventuellement. Petite Grenouille errante et défoncée. Sa voix était trop fébrile, trop faible pour lui plaire.

Il l'assomma presque de ce regard glacial dont il ne savait plus se défaire, l'air de scruter à la fois le personnage et les possibilités qui s'offraient à lui. S'en aller, tout bonnement, le laisser chanceler jusqu'à ce que ses jambes ne le portent plus. Oublier. Il pencha la tête, une fraction de seconde, à la façon d'un prédateur trop curieux -de nouveau, et de façon justifiable en vue de l'état de celui qui marchait avec l'aisance d'un faon nouveau né.

-Bouge toi. De toute façon j'ai envie de fumer.


Belle façade, belle excuse, mais il n'admettrait pour rien au monde que son choix s'était porté sur l'autre partie de la balance, qui pesait pour lui davantage. Jamais le mot d'aide ne serait prononcé, ni même pense par son cerveau tortueux. C'était juste... Que ça l'arrangeait. Rien de plus. Il se plaisait à le croire. Nul doute qu'il servirait d'appui, si la gêne demeurait loin du plus vieux. Ou qu'il irait, éventuellement, réceptionner un corps en chute libre sur un trottoir miteux. Sa main dévia, lente, longeant le bras jusqu'à l'inciter à se lever, d'une pression sur le poignet.
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Lun 19 Nov - 21:26
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Il était bien heureux de ne pas se reçevoir un énième regard dégoulinant d'une pitié à en gerber. Ceux qui tentaient de le "sauver de lui-même" ou quelque autre connerie de ce genre, qui lui prenaient les mains et le regardaient droit dans les yeux, "Tu dois arrêter ça ou tu vas finir par te tuer", "J'aimerai que tu ailles à x ou y rendez-vous, je suis sûr que ça t'aidera beaucoup" pouvait aller se faire voir.

L'inconnu, ici, ne cherchait pas à lui faire la morale, ni même à partager un petit peu de compassion. Il semblait avoir bien compris que Charles se laissait couler, désormais. Ce n'était pas désagréable de rencontrer quelques gens de bonne compagnie au cours de la noyade mais pour lui, il n'y aura pas d'appel divin, de soudaine réalisation illuminée. C'était le début de la fin. Il en était presque soulagé. Il ne repoussa pas la main secourable de cet inconnu bien déterminé à ne pas le laisser crever sur son banc de piano, apparemment - certainement que s'il s'en était allé, Charles se serait laissé glisser jusqu'au sol et n'aurait plus bougé. Peut être que les gens du bar lui auraient laissé dix minutes de rab, et puis ils auraient appelé les urgences pour éviter de se retrouver avec un cadavre sur les bras. Il se serait réveillé avec une perfusion et un gros mal de crâne.

Marcher était une tâche des plus dangereuses. Il hasarda quelques pas dépourvus de toute grâce. En vue de son état, il pratiquait son déplacement avec une détermination surhumaine. Peut être mirent-ils bien plus longtemps qu'il ne lui sembla pour traverser le bar, mais Charles eut l'impression de n'avoir eu le temps que de claquer des doigts avant de sentir le vent glacial de la nuit dans ses cheveux. Il se laissa tomber contre le mur, enfermé dans un soudain mutisme plutôt désespéré. La moindre des choses qu'il puisse faire, c'était offrir une cigarette à son inconnu de la soirée. Avec grandes difficultés (ses doigts se sont mis à souffrir d'une crise d'apoplexie assez impressionnante) il sortit deux cigarettes de son packet écrasé au fond de sa poche et en tendit une à l'autre. L'allumer fut une toute autre affaire.
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Mar 20 Nov - 18:04
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L’air froid de l’extérieur lui fit étonnement plus de bien que ce qu’il n’aurait cru au premier abord. Après la laborieuse traversée du bar, une véritable odyssée selon les points de vue, Kyle avait bien besoin de respirer. Respirer autre chose que cette odeur lourde d’alcool qui imprégnait l’homme qu’il guidait avec une patience teintée d’agacement, sans un mot, sans un reproche, mais avec un regard ennuyé au possible. Un faon, pensait-il une minute plus tôt, et le constat était vérifié : Grenouille ne marchait pas droit, titubait, mais on pouvait au moins lui reconnaître une détermination sans faille. Ou bien n’était-il plus en état de réfléchir, et filait par mécanisme une fois lancé, jusqu’à s’effondrer un peu plus loin. Le plus jeune arqua à peine un sourcil en le voyant disparaître de son champ de vue, abaissa son regard vers la silhouette calée contre ce mur comme un chiffon sans vie. Il le toisa, peut-être, un peu, de toute sa hauteur, jugea une seconde de combien la décadence humaine pouvait être misérable. Pourtant, il le vit tendre une cigarette, vit combien sa main paraissait incertaine, et il finit par se dire que ce n’était pas si terrible que ça. S’il était encore capable de réfléchir, d’agir, il n’allait pas claquer entre ses doigts tout de suite. Geler sur place, en revanche, cela se négociait. La nuit abattait sur la ville une fraicheur qui lui était agréable, mais ne saurait tarder à les transir.

Et, constatant enfin qu’ils y seraient encore demain s’il laissait les choses se faire, il posa l’air de rien sa main sur celle de l’épave pour enfin dompter ce briquet qui persévérait dans le fait de ne pas jouer son rôle. Contact bref, contact nonchalant, et il ramena ce merveilleux poison à ses lèvres pour souffler par la suite un nuage de fumée dans un soupir apaisé. Le silence, encore, partout autour, si ce n’était ces conversations tenues, derrière la porte, perceptibles pour ceux qui tendaient l’oreille. Puis que l’aîné avait perdu sa langue, il ne fit pas mine de reprendre la parole, laissant s’écouler un moment, resserrant sa veste autour de lui. Ses yeux parcouraient la rue, sans jamais se fixer sur quoi que ce soit, et il finit par trouver lui aussi appui sur le mur salvateur. Lorsqu’il daigna reposer ses prunelles froides sur l’inconnu, il se laissa aller à se demander combien de temps une si maigre silhouette pouvait tolérer de se peler ainsi dehors. Mais peut-être que le froid l’aidait justement à ne pas tourner de l’œil. Excellente question.

-Moins mourant ?


Manière comme une autre de demander, basiquement, s’il se sentait mieux. Il doutait en revanche que la réponse fut un oui resplendissant. Il avait toujours près de lui un fétus de paille qui ne demandait qu’à s’envoler, à priori.
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Mar 20 Nov - 23:45
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Une main se posa sur son épaule. Notez, lecteur attentif, l'utilisation de la voix passive. C'est ce que notre jeune Grenouille était, terriblement passif. Il ne pouvait rien faire d'autre que de subir passivement que son malaise se dissipe. S'il voulait survivre encore une quinzaine de jour il allait devoir aller faire les courses. Son frigo était aussi vide que la bourse de l'Allemagne après la guerre. Il restait un vieux pâté pour chat (il n'avait même pas de chat, ce dernier s'était perdu quand il l'avait emmené avec lui vivre sous les ponts il n'y a pas si longtemps) et des coquilles d'oeuf. Peut-être aussi un pot de moutarde. Ce n'était pas cela qui allait le nourrir. Mais faire les courses demandait un effort surhumain pour la loque qu'il était. Sortir de chez lui pour aller faire autre chose que les cours ou le bar était un idylle inatteignable (si ce n'est pas un préonasme en soi). Alors il légumait sur son lit ; parfois il avait la chance de se procurer un peu d'herbe pour passer le temps, mais la faim qui l'assaillait après la défonce n'était pas des plus agréables. Il avait vécu la faim comme tous les sans abris l'avaient vécu, tous, sans exception. Les premiers jours elle était douloureuse, bien qu'oubliable. Quelques cigarettes pour faire passer le temps, on allait s'asseoir dans une bibliothèque pour tuer les minutes et les heures. Tout était histoire d'oublier l'écoulement du temps, quand on est à la rue.

Et puis quand on atteint le quatrième ou cinquième jour, la faim frappe comme un sabre. Des vagues de douleur insupportables qui laissent place à une certaine tranquilité et reviennent en force quelques heures plus tard. Le corps peut continuer de la sorte des jours et des jours. Au bout d'un moment on commence à tourner de l'oeil dès qu'on se lève, mais dans le gros on peut survivre. Charles se perdait dans des souvenirs et des pensées tourbillonnantes qui ne furent stoppées que par la flamme vascillante que l'inconnu du bar positionna sous sa cigarette. Oui, il avait faim. Mais l'alcool le lui faisait oublier. Son corps, lui, n'oubliait pas.

Il remercia la flamme, se leva avec difficulté en soufflant par le nez.

- Ca va. Si tu as froid tu peux rentrer, tu sais. Je me démerderai à rentrer. Le campus n'est pas si loin.

... Si ? Pour être tout à fait honnête, Charles n'avait plus aucune idée d'où il était. S'il parvenait à garder le fil de la conversation, son cerveau anesthésié n'était plus d'aucune aide. Trois mètres et il tombait dans les vapes. Il tira furieusement sur sa cigarette, exhalant de longs panaches de fumée blanches devant lui. Soudain, pris d'un élan sorti d'où ? il se sentit ragaillardi. Les mirages de l'esprit. Il se remit sur ses jambes, vascilla, se rattrapa au mur, lança un regard dénué d'émotions à son sauveur d'une nuit. Indéchiffrable.
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