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Dim 2 Déc - 20:15
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Dire qu'il était étonné serait exagéré, mais son expression se fit un instant plus distraite, avant de reprendre son masque habituel. Plusieurs abandons consécutifs et voilà que Charles continuait à s'attacher à elle. Kyle aurait voulu trouver ça risible, mais il en était au même point, même s'il n'avait eu à souffrir que d'un seul véritable rejet, à proprement parler. Amour ou idiotie, cela restait à définir, néanmoins, alors qu'il méditait les paroles de son camarade avec une mine teintée de feinte lassitude. Son aîné était retourné dans l'optique de se rabaisser plus bas que terre, réaction récurrente, suffisamment pour qu'elle soit notée avec soin dans une part de son cerveau. Celle-là non plus, il ne l'oublierait pas. S'en servirait-il? Peut-être. L'avenir le dirait.

-Je n'en sais rien. Je n'en suis qu'à ma période d'essai, princesse, quelques douze heures en ta compagnie. Jusque là, pas de dommages à déplorer, je le crains.


Sa voix avait repris de la légèreté sur ces paroles, comme s'il ne désirait pas s'appesantir sur ces conversations noires, évocatrices de tant de choses, et qui plongeaient son camarade dans un dépit plus grand encore qu'auparavant. La preuve en était que Grenouille jugeait le monde sur une échelle d'enflures, de façon aussi comique que pessimiste, mais là encore Kyle ne pouvait que lui donner raison. Avec une once d'amusement, il se demanda où il pouvait bien en être. Bas, sûrement. Mais à quel point? Constatant les tremblements encore présents sur les bras frêles de celui qu’il s'efforçait de maintenir vivant depuis des heures, il referma la fenêtre, retourna s'assoir sur le canapé. Il n'eut en effet aucun mal à lire tous ces ressentis dans les prunelles grises qui le fixaient, se détournaient, ne savaient parfois plus ou se poser. Le manque. Chacun le vivait différemment, mais il comprenait. Tout ce qu'il disait trouvait un écho dans son esprit. Il pointa d'un geste vague le seul cadre de la pièce, sans même y couler un regard, puisqu'il doutait que son camarade y prête attention dans son état. Ça l'arrangeait, en somme.

-Ma sœur aussi m'a abandonné. Pourtant c'était tout mon monde quand on était gamins. J'aimais penser que j'étais aussi le sien. Si ça se trouve, on est juste de mauvais frères, intolérables.


Il leva les yeux au ciel, détaché de ces mots qu'il prononçait, alors que ça le touchait pourtant plus que le reste de leurs discussions absurdes. Machinalement, comme si la seule évocation de sa sœur réveillait de vieux réflexes, il s'était remis à faire bouger ses mains, ponctuer ses paroles, de façon parfois très abstraite. Mais il n'y avait personne pour y répondre. Ses yeux clairs perdirent de leur superbe, une fraction de seconde à peine, lorsqu'il s'en rendit compte.

-Le destin est pas très original, hm. Les mêmes histoires, pour deux personnes. Ce beau hasard.
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Dim 2 Déc - 20:56
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Le fait qu'il continue à lui donner des surnoms ridicules alors qu'il connaissait son prénom l'amusait plus qu'il ne laissait paraître. Il se mordilla un ongle, étrange habitude remontant à l'enfance, et suivit les mouvements de ballet de Kyle au milieu de son salon.

- Tant mieux, alors. Y'a pas assez de place pour deux au fond du trou.

C'était sensé être de l'humour, du moins était-ce la tentative avortée de Charles qui ne mena qu'à un faux sourire triste. Il avait eu le temps au cours de sa courte vie de rencontrer des personnes à un niveau haut sur l'échelle de l'enflure. Des connards sans nom, des gens mauvais, pourris jusqu'à la moelle. Il n'avait plus aucun espoir pour l'espèce humaine. Et surtout pas pour lui-même.

Son regard se perdait un peu au hasard, en proie à des angoisses sous-jacentes qu'il n'exprimait pas à l'oral. Il laissa ses yeux se poser sur le cadre. La fille qui y était ressemblait bien à Kyle. Il y avait un air très familier entre les deux. Heureux de se concentrer sur autre chose que sur sa confusion mentale, il se mit à détailler le visage de Kyle, à le dépecer avec une précision chirurgicale.

- Peut-être que c'est dans l'ordre des choses que les frères et sœurs se déchirent.

Il l'observa agiter ses mains, comme en écho à des pensées trop profondes pour être verbalisées. Parler de sa sœur faisait remonter de drôles de choses en eux, apparemment. Charles ne le faisait pas souvent. Son esprit préférait oublier tout cela, la plupart du temps. Penser à Camilla menait invariablement à penser à Henry, puis à Bunny, et à toute la tragédie qui avait conduit sa deuxième année de grec ancien à Hampden.

- Un hasard, oui. Tu es bien la première personne que je rencontre dans... Dans cette situation.
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Dim 2 Déc - 21:27
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Le fond du trou, Charles l'avait déjà atteint, et continuait pourtant de s'enfoncer. Et Kyle ne comptait pas l'y rejoindre, pas le moins du monde. L'en tirer? Trop périlleux. Il n'avait pas les ambitions samaritaines qui permettaient ce genre de choses. Le maintenir à flots, là, au fond du gouffre? Éventuellement, c'était déjà plus jouable. Mais il s'avérait que son esprit ne se concentrait pas là-dessus, qu'il n'y songeait pas, et était plus intéressé par le fait de connaître chaque petite mimique de cet étrange personnage de tragédie qu'il avait dégoté au détour de ce bar. La faible tentative d'humour lui arracha un bref sourire, qui répondit à celui si triste, si fade de son compagnon.

Il ne se résolut pas à suivre le regard de Grenouille vers le cadre, mais il en connaissait de toute manière chaque détail, chaque mèche de cheveux de sa sœur. Ils étaient jeunes, à cette époque, bien qu'il ne fut toujours pas très vieux. De la même façon que Charles, il préférait détailler l'inconnu. C'était d'un étrange apaisement que de graver ces traits émaciés dans sa mémoire. C'était le charme du détruit, la beauté de la terreur, qu'ils l'appellent tous comme ils le veulent après tout. C'était magnétique. Le plus jeune n'en était pas moins persuadé que le charme du poète n'était pas à prouver, pour peu qu'il ne fut pas hagard à en pleurer. Il avait eu droit à toute la palette d'états, colère mise à part, et toutes ses dérives bien sûr, de son camarade. Il n'en était pas pour autant repoussé. Attiré comme un papillon par une flamme, le plus grand vice de sa vie. Tout ce qui sortait de l'ordinaire.

-J'aurais autant préféré ne rien déchirer, mais puisque c'est notre fatalité à tous... Souffla-t-il avec un air renfrogné, une moue au visage.

S'il n'avait pas cédé à l'époque... Mais les regrets n'avaient pas leur place. Il pencha allègrement la tête, laissa s'égarer ses yeux sur le visage de son camarade, avant d'esquisser une ombre de sourire.

-J'aimerai te dire que tu es le premier, mais il s'avère que ce n'est pas le cas. J'en ai vu... D'autres. Mais aucun qui... Me donnait le même ressenti que toi.

Non dits, encore et toujours. Bien sûr, qu'il en avait vu, en taule. Des tueurs, des frères et sœurs brisés, des alcooliques et des fous. Mais qui lui soient à ce point similaires? Aucun. À croire que la veille, il avait été guidé par une quelconque intuition vers ce bar en particulier, pour y rencontrer cet homme en particulier. Mais il ne croyait pas à ces histoires de providence et de destinée, malgré le fait qu'il en usait et abusait dans ses paroles. D'un point de vue extérieur, ses mots pouvaient avoir une toute autre consonance, quant à savoir si cela était volontaire ou non, lui-même ne saurait plus le dire. Le jeu avait été dépassé depuis longtemps, la réflexion avant chaque parole également.


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Dim 2 Déc - 21:48
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Étrangement, et même si cela ne sautait pas aux yeux, Charles n'était pas exactement au fond du trou. Il n'en était pas loin, en équilibre précaire au-dessus de la tragédie finale, de l'accord de fin déchirant, mais il s'y maintenait au-dehors. Il l'avait bien atteint, le fond, l'année dernière. Il avait quitté l'université, avait commencé à s'enfermer chez lui, ne pas se laver ni se nourrir pendant des jours, des semaines, occupé à aligner les bouteilles de Jack vides contre son mur. Il avait goûté à la rage envers ses amis, avait balancé des verres contre les façades, avait essayé de buter pas mal de monde. Et puis il s'était enfuis, était tombé dans la drogue, avait vécu à la rue de longs mois. Ici, il avait touché le fond.

Aujourd'hui, même s'il avait l'air plus près de la mort que de l'éclat brillant de la vie et de la jeunesse, il n'y était plus, au fond de son trou. Ou du moins était-ce ce dont il était persuadé. Il avait cru voir tellement pire qu'en comparaison, il était revenu dans la fleur de l'âge. Et pourtant, c'est comme si les épreuves qu'il avait traversé l'avait rendu indifférent d'être mort ou vivant, profondément dégouté de la vie et de tout ce qui touchait à la reproduction, les procréation et les vagues tentatives que montait l'être humain pour maintenir un sens à sa misérable vie. S'il avait pu donner une impression, au bar, c'était certainement celle d'un homme d'âge plus avancé, un type de quarante-cinq ans qui aurait perdu sa femme du cancer, au bout de sa carrière et au bout du rouleau. C'était ce qui le guidait, la plupart du temps. Un terrible aveuglement de toutes les choses belles de ce monde.

- On aimerai tous ne pas avoir commis les erreurs qu'on a commises. Mais on peut pas retourner dans le temps, hein. Qu'as-tu fais, toi, pour manquer à tes devoirs de frère ?

S'il montrait un peu de curiosité, peut-être presque pour la première fois de la soirée, il n'était pas enclin à raconter le pourquoi du comment de son histoire avec Camilla. Il y avait trop de zones d'ombre que même l'âme la plus pervertie trouverait dérangeantes.

- Je crois que j'ai eu le même ressenti. Le vice aurait-il une odeur ? demanda-t-il, certain de toucher en plein dans le mille.
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Lun 3 Déc - 18:03
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Retourner dans le temps. Beau concept. Mais s'il en avait l'occasion, voudrait-il seulement le faire? Son manque de culpabilité impliquait le fait qu'il n'avait guère de désir de retour en arrière, de seconde chance et de salut divin. Son seul regret, s'il en était vraiment un, était d'avoir perdu sa sœur dans la foulée. Mais sacrifierait-il ce sentiment qu'il avait eu, à l'époque, cette froide volupté, pour récupérer un être cher? Alors même qu'il courait après les sensations, après ce qui pouvait faire vibrer coeur et âme dans l'espoir de tout retrouver, même brièvement? C'étaient là des questions qu'il ne pouvait envisager, et auxquelles il ne pouvait fournir aucune réponse claire. Aussi, Kyle fut-il soulagé que le sujet ne reste pas sur le tas.

-Je lui ai fait peur, j'imagine. Oui... C'était ça. Je lui ai fait suffisamment peur pour qu'elle fuit sans se retourner.

Bel euphémisme. Terrible euphémisme, comme s'il n'y avait rien à reprocher, qu'il s'agissait d'une simple erreur humaine, une fragilité de sa sœur qu'il ne pouvait expliquer. Et il en oubliait, des raisons! Il avait commencé sa décadence bien avant, lorsqu'il s'était enfermé pour ne plus sortir, lorsqu'il lui refusait sa voix et sa présence. Elle avait perdu son frère avant que lui ne la perde, et il demeurait pourtant dans cette froide impression qu'elle l'avait trahi avant toute chose. La vraie version ne franchirait sûrement jamais ses lèvres.

Il esquissa un fin sourire, fade, et haussa les épaules, l'air de dire que rien de tout cela n'avait d'importance. Il était néanmoins plutôt satisfait d'en parler. Mettre des mots sur les faits, voir la curiosité brève de son camarade, c'était réconfortant. Si banal, et tellement humain. Il eut un tressaillement presque perceptible à la seconde question de Charles, se redressa un peu, masque de marbre au visage, yeux braqués sur celui de l'autre.

-Une odeur pour le vice? Elle ne doit pas être fameuse, si tu veux mon avis.


Il fit craquer ses doigts, comme pris sur le fait, comme si son compagnon avait su lire en lui, et que cela le rendait fébrile. Il balaya la pièce des yeux, et fut pour la première fois celui qui détournait le regard, et évitait les prunelles d'acier face à lui. Peut-être que le meurtre avait un parfum, ou du moins une attraction. Peut-être que le hasard était simplement joueur. Il se mordilla la lèvre, une seconde, lâcha un soupir bref.

-Je préférais l'histoire du hasard. Le destin, c'est tellement plus poétique.


Et pourtant, il ne leur avait fallu que quelques échanges pour percevoir les secrets et les intrigues, dissimulés et reniés. Il ne pouvait ignorer cela. De là à dire qu'il l'avait senti, il n'y avait qu'un pas.
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Lun 3 Déc - 21:41
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Les paroles de Kyle trouvèrent une résonnance particulière dans l'esprit de Charles. Parce que c'était exactement ce que sa chère Camilla avait fait. Fuire son alcoolique de frère, apparemment aggressif, violent, belliqueux, pour courir dans les jupes de Henry, le meurtrier au sang froid, la statue de glace humaine qui marchait et s'exprimait d'une voix roboïde, et de qui elle était profondément amoureuse. Elle le lui avait dit. "Tu comprends, Charles, j'aimais Henry. Enfin, j'aime Henry. Vraiment. Je ne vois pas pourquoi tu ne me crois pas." Ce n'était pas qu'il n'y croyait pas, c'est qu'il ne voulait pas y croire. C'était trop douloureux, c'était une trahison supplémentaire. Il secoua la tête pour chasser ses mauvaises pensées et se ré-enfonça dans le canapé, plus près encore qu'auparavant de son hôte, sans vraiment y faire attention.

- Oui, je vois tout à fait. Millie a fuit pour la même raison. Je l'ai effrayé. J'étais violent. Plutôt dangereux. Je buvais tellement que je n'en ai aucun souvenir.

Il ne parlait pas en détails, survolait les évènements, regroupait trois mois de drame en trois phrases simples, pour expliquer une situation terriblement complexe.

- Pourtant, elle est revenue, un peu plus tard. C'est elle qui m'a forcé à faire cette cure stupide. Voilà comme je l'en remercie. Je crois que je ne m'en veux même pas.

Il s'exprimait les yeux dans le vide, la voix dénuée de toute expression. Parler de sa soeur le figeait dans une insensibilité de façade phénoménale, alors que Kyle, lui, semblait se craqueler à cette évocation douloureuse. Pourtant, il se referma de nouveau comme une huitre à l'évocation de cette fameuse odeur du vice. Ce type avait de lourdes choses à cacher, pour sûr. Charles avait dû affronter les services de police alors qu'il frôlait son point le plus bas. Il avait tenu tête avec brio à la CIA sur les lieux de la mort de Bunny. Ce n'était pas une vague évocation au vice au fond d'un canapé qui l'aurait effrayé. Cependant, il ne souriait pas. Percer à jour l'étrange personnage de Kyle n'était pas une victoire. Ou du moins cela n'en avait pas du tout le goût. Il effrectua une mise en abîme ingénieuse sans s'en rendre compte.

- Si le vice a une odeur, Grenouille devait être celui qui la sentait le plus. (Il ignorait si Kyle avait gardé en mémoire tous les détails du Parfum ; lui-même ne se souvenait plus que d'une vague évocation de l'histoire. Soudain, il blêmit) Merde, je l'ai oublié au bar. Quel con.
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Mar 4 Déc - 20:59
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Violent et dangereux en plus d'être alcoolique, même si cela pouvait aller de paire. Kyle plissa les yeux, sceptique, ses prunelles glacées détaillant son vis-à-vis qui s'était imperceptiblement rapproché. Il avait beau chercher, c'était bien dur de voir la violence sur cette gueule d'amour amochée, dans ces traits las et cet air épuisé. Sans doute avait-il eu une période plus florissante, où son corps le portait encore, et ou son mental n'était pas brisé à ce point. Mais plus encore, le plus jeune était avide de savoir. Comment? Comment était-il parvenu à effrayer une sœur, une personne si proche? Cela devait être terrifiant. Et il essayait de le visualiser, ce monstre qu'avait dû être Charles. Sans y parvenir. Alors il lâcha un soupir léger, enfoncé dans le canapé de manière nonchalante. Seul le regard d'acier de son camarade pouvait receler d'intimidation. Il ne verrait peut-être jamais la facette la plus sombre. Pour un bien, ou un mal, il l'ignorait encore.

-Je pense qu'il vaut parfois mieux ne pas s'en rappeler,
railla-t-il avec un vague geste de main, comme pour chasser ces souvenirs qu'ils évoquaient, ces souvenirs des regards pleins d'angoisse et de dégoût: La mienne n'est jamais revenue.

Il esquissa un sourire fin, un sourire cynique et au fond plutôt mauvais, même si ses traits restaient figés, d'une douce jeunesse. Ce n'était pas orienté contre son camarade, ni contre lui-même, mais contre... Tout le reste. Le reste, qui resterait ombragé, noir et loin. Sa façade se reconstruisait sans mal, tout comme l'aîné paraissait avoir oublié tout ressenti à ce jour. Une froide réalité, énoncée sans fioritures.

-À quoi bon s'en vouloir, de toute manière? Ils le font assez pour nous. Ils nous en veulent juste parce qu'on respire. Tu as raison de t'en foutre.


Il ne doutait pas du fait que des familles entières voulaient le voir pendu à un arbre, plus encore que loin d'eux ou enfermé. Quant à penser qu'il le méritait, il n'en était pas arrivé à ce point. Il avait payé, c'était tout. La page était terminée, il passait à une autre sans sourciller.
Il eut un petit frisson, une moue teintant un instant son expression. Il se sentait comme pris sur le vif, acculé, avant de réaliser que Grenouille, ce Grenouille dont Charles parlait, était en effet dans le livre. Un personnage. Non pas le Grenouille qu'il avait nommé allègrement depuis le début de la soirée. Pourtant, il préférait celui qu'il avait en face.

-C'est en rapport avec son nez fin, ou je rate un morceau?
Susurra-t-il avec une innocence qui convaincrait un saint, avant qu'une grimace légère n'étire ses lèvres: Merde. Pauvre bouquin, il aura vécu une tragédie tout seul.

Il marqua une pause, se gratta pensivement le bras avant de hausser les épaules. Il n'avait pas vraiment de conscience des valeurs des livres, de toute manière. Ce n'était qu'un petit tas de feuilles, mais il pouvait comprendre un attachement qu'on lui portait. Violet aimait tellement lire, elle...

-La serveuse a passé la soirée à te bouffer des yeux. Elle a dû le voir, et le garder. Tu le retrouveras là-bas, avec un peu de chance... Il a tant de valeur que ça?

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Mer 5 Déc - 0:00
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Charles approuvait ses paroles. Il préférait ne pas s'en souvenir, de ce qu'il avait fait. Il ne lui en restait que de vagues cicatrices sur les mains, presque invisibles mais bel et bien présentes, et une floppée d'envies suicidaires ; bien qu'il suppose que celles-ci soient majoritairement dûes à ses excès plus qu'à ses actes passés en eux-même. Il n'était pas de nature violente. Mais l'alcool l'avait rendu comme ça. Désormais, c'est à peine s'il avait la force de se mettre en colère. Il valait certainement mieux pour Kyle qu'il ne le connaisse que comme cela.

Il ne vit pas le sourire de son camarade, de nouveau plongé dans la contemplation admirative du mur. Ce dernier aura été la source et la victime de nombreuses sombres pensées. Il secoua la tête.

- Je ne sais pas. Elle reste ma jumelle, après tout. J'aimerai que tout redevienne comme avant tout ce qui s'est passé. Mais je sais bien que c'est impossible. Idyllique. Je ne m'attends pas à ce qu'elle revienne.

Il resta un long moment silencieux. Son regard avait retrouvé son air voilé du début de soirée et sa voix la monotonie d'une automate. Il s'était refermé de nouveau. Il pensait à Camilla - ou plutôt au souvenir qu'il se faisait d'elle. Son intelligence, sa perspicacité, leur enfance volée, les cabanes dans le grenier, l'accident de voiture, l'enterrement, la maison de campagne de Francis et les jeux de carte. Le timbre brusquement teinté de candeur de Kyle le sortit à peine de ses pensées. Il mit quelques temps à retrouver le fil de la conversation, laissa ses yeux s'égarer sur la table basse bien rangée.

- Son génie olfactif, ouais. Et puis sa propension à sentir les femmes qu'il finissait par assassiner. Je suppose.

Il pensa à son livre, insensiblement abandonné sur le comptoir, qui devait faire les frais de l'humidité des bières et du torchon sale de la serveuse. De la valeur ? Il joua la carte de la sincérité.

- Non, c'est juste que ça me fait chier.

Il regarda sa montre. Cinq heures zéro quatre. Merde, il avait terriblement envie d'un verre, tout à coup. Pourtant, l'alcool amorçait la fin de sa redescente.
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Jeu 6 Déc - 19:23
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Il ne put retenir le rire clair qui fleurit dans sa gorge, et fila dans l'espace qu'offrait le studio. Trop de coïncidences pour une unique soirée. Il en aurait pense que le monde se fichait de lui, en lui présentant ainsi une telle chimère de sa propre personne, un tel homme qui reflétait sa vie point par point avec une morbide similitude. Une jumelle! Ne manquait plus que ce détail au tableau pour que Camilla et Violet prennent le même visage doux et lâche. Tout collait. Absolument tout collait et c'était cocasse, si ce n'était risible, et il s'en rendait compte avec une grande clairvoyance. En un sens, cela pouvait rassurer. Il n'était pas le seul. Il n'était pas l'unique, et d'autres comprenaient. D'autres vivaient ce que lui avait vécu, et c'était là plus qu'il ne l'espérait.

-Le destin est décidément trop moqueur ce soir, princesse... Ne serions-nous pas nous-mêmes jumeaux d'une certaine manière? Je vais finir par le croire.


Il ne développa pas sa pensée, pas plus qu'il ne chercha à préciser ce qui lui faisait dire ça à cet instant précis, après toutes ces confidences fumeuses et plus ou moins poussées. À la place, il se laissa de nouveau aller à la contemplation de son camarade, qui lui même contemplait le mur qui n'avait jamais connu tant d'attention. L'un comme l'autre nageaient dans certains souvenirs, parfois semblables, parfois bien éloignés. Kyle ne voyait qu'une forêt, des livres, et des jeux muets, des sourires complices qui rendaient fous leurs parents lorsqu'ils cherchaient leur dernière bêtise. Mais il s'agissait d'un temps révolu, qu'il chassa aussitôt pour se déconcentrer sur le livre.

-Parce que Grenouille sentait les femmes? Perturbant, si tu veux mon avis, qu'il soit génie ou non.


Il fit claquer sa langue contre son palais, amusé. Ce pauvre bouquin avait été abandonné sur le comptoir sans un regard en arrière, triste ironie. Abandonné comme eux l'avaient été. Trop glauque pour demeurer accompagné, peut-être. Une belle image. Avisant la montre de son camarade, il se pencha plus que de raison pour ensuite esquisser un sourire. Si tard. Si tôt? La journée de travail allait être lente et douloureuse. Il n'était pas un grand adepte des nuits blanches, insomnies et autres festivités, et même si celle-ci ne le tuerait pas, les cernes seraient au rendez-vous, et l'air revêche en prime.

-Si tu n'y tenais pas, alors pourquoi t'en soucier? C'est se fatiguer pour rien. J'espère au moins qu'il ne s'agissait pas d'une édition limitée pour laquelle tu avais sacrifié des vierges, souffla-t-il, le ton plat.

Il sentait son corps s'engourdir toujours un peu plus, signe qu'il fatiguait, ou du moins que n'importe quelle position sur ce canapé trop confortable serait propice au sommeil. Alors il se recala, encore, dans un soupir. L'expression de Charles était bien proche de celle de début de soirée, c'était un fait. Le plus jeune le scruta un instant, pensif, avant que ses lèvres ne tressautent en un rictus qui ne vit jamais le jour.

-Trop sobre à ton goût, déjà?



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Jeu 6 Déc - 19:56
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Il n'était pas certain d'avoir saisi le sous-entendu de Kyle et songea un instant que, peut-être, sa soeur aussi était sa jumelle. C'était plutôt cocasse, assez inpensable. Partout où ils étaient allé Camilla et lui étaient toujours le seul couple de jumeaux. C'est ainsi qu'on les avait appelé toute leur enfance et adolescence, "les jumeaux", parfois sans même connaitre leurs noms. Ce n'était pas désagréable, après tout. Ce n'était que la vérité. Certaines personnes n'aimaient pas cela. Charles avait d'autres considérations. Il tenta le truc quand même, quitte à se planter. Ce serait drôle, d'une certaine manière.

- Quatre jumeaux, ça commence à faire beaucoup. Je plains la mère porteuse.

Grenouille n'avait rien d'un saint, de toute manière. C'était un prédateur, un génie, un psychopathe, incapable de comprendre ses contemporains. C'était lui qui, après tout, avait vécu des années entières dans une grotte, replié sur lui-même, à tenter de sentir sa propre odeur. Odeur inexistente. Jusqu'à le rendre plus fou qu'il n'était déjà. Et voilà comment il a fini.

- Seulement les femmes rousses, en fait. Perturbant, c'est le mot. Mais il a fini par payer. Enfin... (il marqua une pause, se tordant les mains inconsciemment, discrètement, à la merci des caprices de son esprit) son génie lui a permi de choisir sa fin. Il est mort comme il le voulait. Aussi macabre fut la façon.

C'est vrai qu'il n'y avait pas de meilleure façon de le perdre, ce Parfum. Abandonné dans un bar, au milieu des effluves de Whisky. Délaissé. C'était ce qu'il méritait, en un sens.

- Je n'avais pas fini de le re-lire, et je n'ai pas forcément envie d'avoir à l'acheter à nouveau. Certainement que je ne le finirai pas. Ce n'est pas bien grave.

La nuit avançait, le jour se levait. Les ombres devenaient plus profondes, peu à peu inondées par la lumière flou de la matinée qui s'amorçait à peine. Ce n'était pas une énième nuit blanche qui allait émouvoir Charles, à l'inverse. Il n'en sera pas plus fatigué. Il l'était toujours. Trop sobre ? Il ne pouvait pas lui cacher grand chose, apparemment. C'était pathétique de sa part. Il avait touché dans le mille. Charles eut un petit rire sans âme.

- Ouais. C'est pitoyable.
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