EVENT - Le Croissant de Lune

Mon visage avait à peine eut le temps de se remettre des coups de Vladmir que je devais déjà faire appel à la trousse de secours. Les dégâts étaient infimes en comparaison, rien qui ne laisserait de trace une fois la guérison aboutie. Et puis je n’allais pas m’en plaindre, cela me donna l’opportunité de renouer avec mon meilleur ami. La détresse de la situation était telle que nous semblions tout oublier de sa déclaration, nous prenant au jeu d’une complicité qui avait disparue depuis ma fugue au Luxembourg. Certains prétendraient même que c’était à la limite du flirt. Peut-être. Je n’avais plus rien à perdre alors pourquoi se prendre la tête ? Pas que je risquais de lui rouler la galoche de sa vie sous prétexte que j’étais célibataire et que nous risquions de mourir noyer prochainement mais… Aucun mal à le taquiner comme je savais si bien le faire. Je rigolais à son « asshole » me replongeant dans de très vieux souvenirs. Adolescents, mes vannes étaient souvent suivies d’une insulte bien placée que je n’avais jamais pris sérieusement. C’était notre mode de fonctionnement. Il en avait toujours été ainsi.

- Un professionnel ? Vraiment ? Damn, j’ai hâte de faire appel à tes services ! répliquais-je en concluant avec un clin d’œil. Oui, la définition de ce terme s’était vue attribuer un sens beaucoup moins « tous publics ».

Je pouffais puis lui pinçais les fesses avant d’aider Kate à débrancher les différentes prises électriques. Bien sûr, je lui jetais un coup d’œil euphorique pour analyser sa réaction. Que de cruauté de ma part. À croire que le vieil Elijah était désespéré pour une dernière apparition avant de rendre l’âme. Clairement : je serai prochainement victime du redoutable courroux de l’Écossais. Malheureusement, les événements prirent une tournure bien plus dramatique tandis que nous nous retrouvions tous enfermés dans les cuisines avec de l’eau grimpant un peu plus à chaque minute. Je me fis accoster par l’étudiante dont la mère était infirmière. Celle-ci s’appliqua à peaufiner les soins d’Alec, osant s’aventurer là où le garçon avait préféré rebrousser chemin à juste-titre. Je retins mon souffle lorsqu’elle appliqua du produit sur la plaie. La sensation était désagréable, mais ma préférence allait pour cette dernière plutôt que pour une belle infection purulente. Nettoyée puis protégée, la blessure serait sans conséquence. À condition bien sûr que je ne sois pas obligé de glisser la tête dans l’eau salée…

Je commençais à la remercier lorsqu’un terrible bruit de verre se brisant résonna dans la pièce voisine et dans celle où nous nous trouvions, nous faisons tous sursauter. Terrifié, le portable de Noreen décida de mettre fin à ses jours en réalisant un saut de l’ange dans les vagues qui furent son linceul. Je posais brièvement une main sur ses épaules pour lui indiquer que j’étais désolé pour elle. Le mien aussi ne me serait plus d’aucune utilité si cela pouvait la rassurer. Cependant, nous avions bien plus de soucis à nous faire pour nos propres vies. L’électricité s’était à nouveau fait la malle, et l’eau nous arrivait jusqu’au ventre tandis qu’elle commençait à se déverser par la fenêtre béante. C’était terrifiant et nous n’étions plus du tout en sécurité ici. Au contraire. Nous avions besoin de trouver une sortie du côté opposé. Par ici, nous serions à contre-courant et fuir serait d’autant plus dangereux.

- Jamais, répondis-je tout en grelottant.

Dieu soit loué pour ça ! Imaginez risquer la mort tous les mois. Je claquais des dents, trempé jusqu’aux os. Parler devenait difficile. Bientôt, seuls nos visages seraient visibles à la surface. En attendant d’élaborer un plan pour nous sortir de ce pétrin, je fis signe à tous de se trouver un perchoir pour prendre de la hauteur. Ainsi, je montais sur une surface plane qui devait probablement servir à la conception des pâtisseries. Je ne voyais aucune issue mais il faisait tellement sombre que seul Alec détenait la réponse. Sinon…

- On ne peut pas passer de ce côté. Le courant est de plus en plus fort. Je ne vois qu’une solution : retourner dans la salle principale et s’extirper de là par le côté donnant sur la rue. C’est dangereux, mais il vaut mieux ça que d’attendre de se noyer.

Je soupirais, me servant de mes bras pour tenter de me réchauffer.

- Nous devrions former des groupes de deux. L’un s’attachant à l’autre. Si l’un est mal pris, l’autre peut l’aider. Ça diminuera le risque d’accident ou de…

… de disparition. Bref, c’était tout ce qui me venait à l’esprit à moins que l’une des personnes ici présente n’est une brillante idée à nous faire tomber à la renverse. Nous ne pouvions pas construire de paquebot avec des couverts et les meubles ne flotteraient jamais, en particulier sous nos poids combinés.

- De préférence, prenez un partenaire de morphologie différente. Que les costauds servent à quelque chose.

Je fis signe à Kate de me rejoindre et désignait Noreen du menton après avoir établi un contact visuel avec Alec. Il avait entièrement ma confiance pour assurer les arrières de la demoiselle. Je me saisis d'un bout de tissu désormais inutile et l'enroulait autour de nos deux poignets en prenant bien soin de le serrer au maximum. Par mesure de précaution supplémentaire, je glissais mes doigts entre les siens.

Choix : suivre mon propre conseil car Alec craint ah ah.

Les groupes étaient formés. Quelques minutes suffirent pour que tous soient parvenus à s’attacher les uns aux autres. J’ignorais ce qui allait advenir, si je les condamnais à un destin abrégé. Mais rester enfermés ici n’aiderait personne puisque nous serions sûrs de mourir noyés. Nous échapper des cuisines en rebroussant chemin constituait notre unique chance de nous en sortir vivant. Tous n’avaient pas à suivre ma proposition mais, à défaut de mieux, je priais pour que tous l’exécutent. À plusieurs, nous poussions la porte pour avoir à nouveau accès à la salle principale. Ce fut chose délicate tant la force de l’eau pesait contre l’ouverture. Le froid était similaire à des coups de couteaux tandis que les flots ne cessaient de prendre de la hauteur. Exténué, je passais le premier avec Kate. Nos pieds rencontraient des obstacles invisibles à l’obscurité ambiante, nous faisant trébucher et parfois menaçant de nous noyer lorsque nous perdions entièrement l’équilibre. L’écossais nous avait informés qu’une échelle de service se trouvait sur le flanc droit du bâtiment. Une fois sur le toit, peut-être parviendrons-nous à attirer l’attention des secours. Mais encore fallait-il réussir à y accéder ! Nos chutes servirent de guide des pas à éviter à ceux qui nous suivaient, bien que d’autres, inconnus, leur mirent aussi des bâtons dans les roues. Si nous nous en sortions vivants, probablement devrions-nous dormir pendant une semaine pour retrouver l’usage de nos membres.

Arrivés à une fenêtre béante dans la vitre avait été brisée, j’interrompis ma progression pour jeter un coup d’œil en arrière. Alec et Noreen nous rejoignirent rapidement, non sans difficultés. Voir la foule terrorisées, pétrifiées par le froid, me fit l’effet d’un cauchemar devenu réalité. Au loin, j’aperçus le grand-père dériver vers un avenir incertain. Mon esprit ne put s’empêcher de se focaliser sur mon ancien petit-ami, dont le papi était l’un des « amis ». Ma poitrine se levait et s’abaissait péniblement, et la paranoïa (justifiée) me fit paniquer plus que de raison. Je me tournais vers mon meilleur ami pour lui murmurer de sorte que personne d’autre n’entende :

- Si je ne m’en sors pas, assure-toi que Kate s’en tire même s’il faut m’abandonner. Oh et… Je sais que c’est délicat de te demander ça mais… Teddy… Dis-lui que…

Ma voix se coupa net alors que les larmes luttaient pour se frayer un chemin sur mes joues. Nous avions suffisamment d’eau comme ça sans en rajouter ! Plus sérieusement, malgré nos différends, je ne voulais pas disparaître sans que le musicien ait conscience de mes sentiments à son égard. Je l’aimais, et je n’allais pas laisser une chose conne comme la mort m’empêcher de lui avouer. Un raclement de gorge et je me repris. Nous nous élancions à l’extérieur pour nous précipiter vers l’échelle. Le vent était tel que, sans l’eau pour nous fixer au sol, nous nous serions sûrement tous envolés. À destination, Kate et moi nous collions contre le mur pour aider les autres à grimper. Noreen était à bout de souffle, épuisée par le cheminement qui l’avait conduite jusqu’ici. J’espérais que le serveur lui prêterait main forte lorsqu’un cri attira mon attention. Un étranger se trouvait à quelques mètres de là, de l’autre côté de la rue. Agrippé à un poteau électrique, une lourde branche avait chuté sur ses jambes qui étaient désormais bloquées sous son poids.

- Nous devons faire quelque chose, me pria Kate.

Je serrais la mâchoire. Elle avait raison. J’entrepris de la détacher pour qu’elle rejoigne les clients sur le toit mais elle me donna un coup sur la main. La jeune fille restait avec moi malgré mes protestations lui intimant de changer d’avis. Je lâchais un juron et nous nous avancèrent en direction de l’accidenté après un dernier regard vers Alec. Si telle chose était possible, ce fut encore plus complexe que le parcours au sein du Croissant de Lune. Le courant souhaitait nous emporter avec lui. Nous devions mettre toute notre volonté pour ne pas nous laisser séduire par ce dernier et mettre fin à ce calvaire une bonne fois pour toute. Le fragment d’arbre était si lourd maintenant que nos muscles étaient endoloris. Saleté de bouche d’incendie qui le retenait ! Nous parvenions enfin à le soulever avec peine, le passant au-dessus de cette dernière pour le laisser voguer au fil des flots. Que les jambes de l’inconnu soient brisées ou non, celui-ci ne pouvait plus prendre appuis sur ces dernières. Je glissais son bras derrière ma nuque pour le redresser, Kate en faisant de même au mieux de ses capacités. Nous devions trouver un endroit tranquille pour trouver refuge ! Une maison à étage peut-être ?