On a trop d'avance, on a peur que tu nous suives pas. feat. Ophelia

Réveil à tue-tête. Bordel, vivement le week-end. Je me préparais à une journée banale, où la désormais routine serait ma seule ligne de conduite. J’enfilais une chemise bleu clair décontractée que je ne pris pas la peine de rentrer dans mon pantalon beige. Je détestais avoir l’air du mec coincé à l’apparence rigide. Il me fallait trouver un juste milieu entre être pompeux et mal zappé. Je pensais l’avoir trouvé. Au Diable ceux à qui ça ne plaisait pas de toute façon. Je laissais mes cheveux sécher durant mon petit-déjeuner, avant d’y appliquer un peu de cire coiffante. Ne me parlez plus de gel ! Enfer et damnation ! Brossage de dents et bam ! Prêt pour de nouvelles aventures (peu) périlleuses. Du moins, c’était ce que je pensais jusqu’à ce que je sois obligé d’arrêter ma voiture. Je fronçais les sourcils tout en penchant ma tête par la fenêtre dans l’espoir de voir quelle était la source de cet immobilisme. Je ne m’étais pas levé du pieds gauche aujourd’hui mais je craignais qu’il y ait eu un accident grave. Pour quelle autre raison un automobiliste empêcherait tout le monde d’avancer à l’heure de l’embauche ? Des manifestants peut-être. Contre/pour quoi ? Le projet de restaurant français ? J’en avais entendu parler. Cependant, je détestais me mêler de ce genre de chose. J’estimais ne pas avoir ma place dans la prise de décision car je venais juste d’arriver à Arcadia Bay. Et puis, pour être sincère, ça me faisait mal au cœur de blesser une personne âgée. Tout comme mon estomac se plaignait à l’idée de ne pas pouvoir goûter des mets de la capitale du bon goût. Autant être la Suisse. Rester neutre donc.

Une voix féminine se rapprochait de moi. Quelqu’un était en train de chanter. Qu’est-ce que c’était que ce bordel ? Quand je vis la psychologue de l’Académie Blackwell tourbillonnant entre les véhicules (et monter sur certaines !), j’éclatais de rire. Elle ne m’avait pas aperçu. Était-elle en pleine crise ? Devais-je appeler les urgences ou bien était-ce normal dans son cas ? Une partie intégrante de sa personnalité ? Je regrettais soudainement qu’Ophélia ne se soit pas mise à nous faire un numéro de la sorte au restaurant de sa famille. Une dose de fun supplémentaire n’est jamais de refus ! Je parvins à identifier le titre. « Another Day of Sun » de la comédie musicale « La La Land ». Par chance, je la connaissais de A à Z. J’avais écrit un papier sur le long-métrage à l’époque de sa sortie pour me faire remarquer dans ma spécialité. Si j’étais professeur aujourd’hui, j’imagine que ce papier y avait participé. Je lançais un « Et puis fuck ! » et sortit de ma voiture tout en glissant mes lunettes de soleil dans la poche de mon haut.

Malgré les protestations, je m’élançais vers elle et la rejoint durant la première phrase du refrain. « Climb these hills I'm reaching for the heights! » chantais-je en mêlant ma voix à la sienne pour lui donner plus d’ampleur. Mon accent allemand s’entendait particulièrement puisque nos paroles étaient décalquées. La femme semblait surprise de me voir mais ne marqua aucune pause. Au contraire, mon intervention paraissait renforcer sa détermination. Je lui pris la main et la fit tourner sur elle-même au rythme (imaginaire) de la musique. Les pas improvisés s’enchaînaient tout en ayant parfois des allures de tango. Ce devait être bien comique vu de l’extérieur ! Pour cause, je m’écroulerais de rire si je n’étais pas trop concentré à chanter et danser sur une route au milieu de la voie. Je n’avais jamais été un danseur accompli. J’étais passable tout au plus selon moi. Si certains continuaient de se plaindre, d’autres étaient sortis pour nous filmer. Quoi ? Il n’avait jamais vu un tel show ? Ha ha ! Je n’avais pas le temps de me préoccuper de ce qui arriverait si mes élèves étaient parmi la foule. C’était mon couplet solo ! Non, je ne me serai jamais cru capable d’un tel exploit. Qu’est-ce qui était en train de m’arriver ? M’étais-je tromper de ma bouteille au petit-déjeuner ? Cette sensation de liberté était jouissive. Et dire que je ne connaissais pas ma partenaire si bien que ça… Je n’avais pas fait attention à Teddy qui s’était rapproché avec son téléphone devant le visage. Si la police venait nous arrêter ce n’était pas un drame. Je commençais à avoir l’habitude. Bah, la chanson serait terminée avant si quelqu’un daignait les prévenir ! Et puis, des vidéos ça ne compte pas comme une preuve si ?

Bon, au moins Teddy était content, et faisait sa promenade du matin en allant voir le vieux fou. C'était comme si le Teddy du présent parlait à celui du futur... Puis bon, ça m'avait permit de trouver une occasion de m'occuper moi aussi, et d'animer un peu les bouchons. Tout le monde devrait me remercier d'enjoliver sa journée ! Même le vieux papy, pour lui avoir accordé mon immense gentillesse en laissant sortir le chien Teddy de la voiture pour aller lui parler. J'étais trop bonne pour ce monde... mais quelqu'un sembla le remarquer donc, en me rejoignant, et ce n'est qu'une fois que je dansais avec lui que je vis qu'il s'agissait d'Elijah ! Je lui adressais un grand sourire puis continuais de chanter à tue-tête avec lui, peu étonnée qu'il connaisse le film, mais ravie qu'il l'aime au point de connaître également les paroles ! En fait, Teddy avait bien trouvé niveau "ami" ce coup-ci... Bien qu'il me semblait bien qu'il y avait bien plus que ça, je les avais flairés tous les deux ! Puis j'approuvais, depuis que j'avais vraiment pu rencontrer Elijah, je l'appréciais beaucoup. Comme si on ne pouvait qu'être joyeux en sa compagnie. Puis je vis que Teddy nous filmait, et je fis comme si je n'avais rien vu, essayant de pouvoir donner un peu de notre bonne humeur, chant et chorégraphie aux personnes venues nous voir... Teddy avait beau dire qu'on avait un karma de merde - ce qui, en soi, n'était pas totalement faux - sans cette voiture, nous n'aurions jamais pu vivre ce merveilleux moment ! ça valait bien le coup d'être en retard, tout ça. Je regardais ensuite Elijah entamer son couplet solo et le regardais avec admiration et fierté, comme si j'avais trouvé mon égal parmi tous ces gens. Je fis une petite chorégraphie à côté de lui, saluant les gens et signant rapidement quelques autographes, avant de reprendre le refrain avec lui, en me remettant à danser avec le blondinet. J'aurai aimé que Teddy se joigne à nous, et même s'il filmait... je me disais qu'il y avait encore de la place sur la voiture ! Je lui tendis donc la main pour qu'il monte avec nous et fis signe à Teddy de nous filmer en mode selfie tous les trois pendant qu'on chantait. En plus, dans le fond, c'était lui le pro en matière de musique ! Il faudrait vraiment qu'on monte un show tous les quatre avec Peter, on ferait des merveilles... C'est alors que des gens sortirent des voitures en faisant le rythme de la chanson pour nous accompagner, tandis que des voitures essayaient tant bien que mal de se frayer un chemin en râlant. Pendant un temps de pause "chantée" je regardais les deux garçons.

« Héhé, regardez ce qu'on a créé ! D'ailleurs Elijah, je crois qu'on doit être âmes soeurs, je suis contente que tu aimes aussi le film et connaisse les paroles et sache danser, on pourra faire des trucs tops avec Peter, tous les quatre ensemble ! »

Bon, entre temps on risquait de se faire arrêter par la police - mes anciens collègues - et les vidéos pouvaient tourner parmi les élèves et au coeur du personnel de Blackwell... mais ça ne ferait que montrer à quel point nous méritions la célébrité et que nous étions talentueux ! Puis on aurait peut-être même notre propre fan-club... J'étais seulement triste que Peter ne soit pas là, mais je lui raconterai tout dès que je le verrais !

Roh bordel, ces goélands, je vous jure. Qui aurait cru qu’ils aimaient autant la célébrité. Il allait ruiner ma vidéo ce fichu oiseau à vouloir trop s’approcher… A moins qu’il ne veuille me voler mon portable. Mais je vois pas trop ce qu’il en ferait. Appeler sa famille ? Mais… Il a pas d’oreilles ! On me la fait pas à moi ! J’eus du mal à me débarrasser de cet oiseau de malheur, mais après de nombreux cri et coup de bras, il fini par s’envoler et ne pas revenir. Je crois qu’il avait trouvé mieux ailleurs et tant mieux. Tant qu’il ne se mettait plus devant mon objectif, ça m’allait bien. Je vous jure, même les oiseaux dans cette ville sont totalement taré. Quoique, je dis ça, je suis quand même le mec en train de filmer sa coloc’ qui bloque tout la circulation par une envie soudaine de faire un remake de sa comédie musicale préférée.

Et d’ailleurs… Depuis quand Elijah était là ? Oh mon dieu, mais comment j’avais pu rater ça ? Putain d’oiseau.... Quoique, est-ce que j’avais vraiment envie de voir Elijah danser avec ma colocataire comme ça ? J’hésitais à dire que c’était ridicule ou à jalouser Ophelia. C’est vrai que j’aurais pas dit non pour être à sa place. Mais du coup, je préférais bouder derrière l’écran de mon portable, en faisant des plans quasiment que de Elijah parce que… J’avais un peu de mal à regarder ailleurs. Surtout que le voir danser comme ça. Ouh ! Ca donnait chaud ! Et là, vu le temps de ce matin, je ne pouvais pas franchement blâmer la météo.

Je suivis donc la petite chorégraphie jusqu’à ce que je remarque d’Ophelia m’invitait à les rejoindre. J’hésitais un instant. Est-ce que j’avais vraiment envie de me retrouver entre eux deux, sur cette voiture à danser et chanter comme un imbécile ? La question ne se posait même pas. Il y avait Elijah. C’était la meilleure des raisons du monde pour que j’attrape la main d’Ophelia et saute sur cette voiture avec un sourire débile plaqué sur le visage alors que je passais mon portable en mode selfie pour nous avoir tous les trois dans le champs. Pendant une courte pause, Ophelia pointa les bouchons, heureuse de son oeuvre et annonça à Elijah qu’il devait être son âme soeur. Vous voulez une description de ma tête à ce moment ? Elle devait ressembler à ça : !

Heureusement, la fin de son discours sauvait un peu Ophelia. Avec Peter, tous les QUATRES… oui, ça m’allait bien, je pouvais retrouver mon sourire et même me mettre à chanter avec eux pour l’ultime refrain. D’ailleurs, il faudrait peut-être que je fasse un petit cours de chant à mes collègues un jour. Ils n’étaient pas terribles à ce point, mais ils n’étaient pas juste sur toutes leurs notes. Surtout Elijah. Et je vous jure que je ne dit pas ça, juste pour avoir une raison de me retrouver seul dans une salle de classe avec lui. La chanson prit fin et ce n’était pas un mal. On allait vraiment finir par se faire casser la gueule. Nous descendîmes de la voiture pour rejoindre la notre.

- Quelle matinée… Au moins on est plus les seuls à être en retard. Oh et les gars, je voudrais pas être méchant, mais je crois qu’un cours ou deux de musique, ça vous ferait pas trop de mal… Enfin si ça vous branche…

Je ne voulais pas non plus les forcer à quoique ce soit. Mais je trouvais que l’idée pourrait être fun. On formait un bon petit groupe tous les quatres (oui avec Peter, même s’il n’était pas là, il était invité, bien sûr). Bref, après je lançais juste ça comme ça. Chacun retourna à sa voiture comme si de rien n’était pour aller enfin bosser, au plus grand plaisir de ceux qui attendaient depuis presque dix bonnes minutes maintenant.

Nous débloquions carrément ce matin. Non seulement nous provoquions des bouchons monstres dans Arcadia Bay, mais nous en profitions pour danser et chanter à tue-tête comme si cela était normal. N’ayons pas peur du ridicule. Le comble était qu’à ce moment précis, nombreux devaient être les automobilistes qui devaient penser qu’Ophelia avait besoin de consulter un psychologue. L’ironie du sort. Je ne m’en tirais guère mieux, même pire puisque je ne possédais pas ni la grâce ni l’accent parfait de ma partenaire. Mon couplet était déjà bien entamé quand je la vis tendre la main à… Teddy ! Comment avais-je pu ne pas le remarquer ? Devais-je me sentir particulièrement stupide ou appréciait-il cet instant de folie ? Au moins, cette fois-ci ma crise était pacifiste. C’est une preuve de progrès n’est-ce pas ? Après hésitation, il finit par nous rejoindre. Je l’accueillis avec un sourire tiré jusqu’aux oreilles et me mit dans le cadre pour le selfie. Si leur colocation ressemblait tous les jours à ça, je risquais de m’incruster du jour au lendemain ! La vidéo ne captait pas uniquement nos voix, mais aussi le rythme battu par nos spectateurs. C’était juste irréel.

- On sait quoi faire à notre mariage dans ce cas !

J’éclatais de rire. Bien sûr que c’était une blague ! En guise de preuve, je posais ma main sur l’épaule du professeur de musique et y exerça une légère pression imperceptible par quiconque. Quand une personne tactile de base se prend à apprécier quelqu’un et ait agréablement accueilli, difficile de se retenir !

Notre performance terminée, je saluais la foule qui nous applaudissait et m’inclinais devant eux en rigolant. Mes yeux s’arrêtèrent sur plus d’un de mes étudiants mais n’en était guère étonné. Cela deviendrait sûrement une blague récurrente à partir de maintenant. Le commentaire du brun me fit hausser les épaules.

- Tu me donneras des cours particuliers.

Je fis un clin d’œil et filais à ma voiture après leur avoir dit un simple « à tout de suite ! ».

Spoiler: