I need you to be like me
Jour miraculeux
En plus du brouhaha ambiant, le bruit de quatre souliers identiquement énergiques résonnait dans la salle à manger des Pendragon. Cette incartade bruyante n’était autorisée qu’un unique jour par an, celui de l’anniversaire des Jumelles. L’annonce de cette journée était donc particulièrement appréciée, notamment par Bambi qui pouvait enfin laisser libre cours à ses émotions, qu’elle canalisait d’ordinaire. Elle ne tenait pas à devoir rester au coin pendant ce qui - du haut de ses sept petites années - lui semblait être une éternité. Et oui, aujourd’hui Pandora et sa jumelle fêtaient leur entrée dans ce que les parents appelait “l’âge de raison”.
Cette pensée sorti d’ailleurs Bambi de son jeu, et elle laissa choir à terre la poupée que les deux enfants préféraient pour se tourner vers celle qu’elle appelait cérémonieusement Mère en public. Mais dans le cadre privé - celui que Bambi préférait - elle était autorisée à utiliser le doux mot Maman. Bambi préférait de loin la présence maternelle, bien qu’elle n’en eut pas totalement conscience encore. Maman jolie, celle qui venait la border le soir pendant que son mari faisait de même avec sa soeur. Maman affectueuse, dont elle préférait les baisers sur le front car ils ne piquaient pas.
Madame Pendragon était occupée à discuter avec les mères des différents enfants invités, aussi la petite fille retourna jouer avec sa soeur en ignorant royalement les petits Harmonie et Henri lorsqu’ils tentèrent de capter son attention.
Seule Pandora comptait à ses yeux, et elle demeurait émerveillée en voyant évoluer son double parfait à ses côtés. Toutes deux discutaient gaiement, vêtues de robes parmes avec socquettes blanches tirées à la perfection. Ensemble, Pandora et Bambi formaient un portrait digne d’un bon magazine féminin sur les vertus de la famille traditionnelle.
A l’heure d’ouvrir les cadeaux - qui allaient toujours par paires - un morceau de papier eut le malheur d’ouvrir la peau diaphane de la plus jeune, qui eut aussitôt les larmes aux yeux et chercha à l’instinct le soutien de sa soeur par un regard tourné dans sa direction.
La cour des Miracles
La première année de Bambi à Blackwell avait été désappointante, selon les propres mots que la demoiselle avait rapporté à ses parents. Si elle s’était bien trouvé quelques points communs avec ses camarades de classe, leurs manières ne lui avaient pas convenu et elle n’avait pas eu l’idée de se remettre en question. Elle cherchait des gens ayant du bon goût, ils étaient des plus vulgaires, c’était une impasse. Point à la ligne. Avec alinéa s’il vous plaît.
Pour elle, qui avait auparavant l’habitude de côtoyer un certain nombre de jeunes gens de bonnes familles et de partager son temps et ses loisirs avec eux hors des cours, l’année de ses dix-huit ans fut un exemple de solitude latente. Ses performances scolaires tendirent plus encore vers l’excellence mais la joie de vivre de la jeune femme s’en ressentit.
Adieux sourire aimable sur ses lèvres et formules joliment tournées afin de souhaiter la
bonne journée à tous ceux qu’elle rencontrait. Bambi se contentait dorénavant d’utiliser un regard courroucé lorsqu’un inconnu ou camarade osait s’adresser à elle en des termes peu convenables.
Malgré tout l’amour qu’elle portait à sa soeur, une forme de jalousie et de rancoeur à l’égard de Pandora s’était installée. Bambi lui rapprochant ses fréquentations et soupçonnant sans arrêt son comportement plus distant. En quelques mots, la plus jeune en voulait à son aînée de vivre sa vie sans elle. Il était temps de briser le miroir parfait que la vie avait donné à Bambi. Le trouble n’était pas encore tout à fait visible, puisqu’il en fallait beaucoup pour parasiter l’ordre établi entre les jumelles, mais la corde risquait de céder tôt ou tard.
La fin des miracles
Cette seconde année ne se déroulerait pas de la même manière, ainsi l’avait décidé Bambi. S’il lui fallait gâcher du vin en mettant de l’eau dedans, elle le ferait en retenant un soupir d’ennui. Sourire aux lèvres, la jeune rousse avait franchi la porte de son premier cours de l’année et était allée s’enquérir des vacances de ses camarades dans un enthousiasme feint.
Feint, vraiment ? Peut-être pas tout à fait. Les semaines de congés avaient permis à la demoiselle de s’interroger sur l’année passée et elle était bien décidée à ne pas revivre un an semblable à celui écoulé.
Aussi, Bambi ferait de son mieux tout en ne trichant pas avec ses valeurs. Et non, la cigarette qu’elle tenait en main n’était pas le début de sa déchéance prochaine, simplement une… dérogation aux règles strictes qu’elle s’imposait.
Personne n’en saurait rien.
Pas même Pandora.