Yeah then I saw love disfigure me
Corps tremblant, chaise inconfortable. Un silence pesant. La salle est pourtant claire, accueillante avec ses murs boisés parsemés de riches tentures, de tableaux de maîtres et de souvenirs du Moyen-Orient. Sous ses larges boucles il a du mal à voir le tigre en platine posé avec une fausse négligence à côté du bol de collecte au profit de la Palestine. Roxanne, elle, est blottie dans ses bras. Ses cheveux roux se répandent sur sa peau laiteuse tandis qu'elle sanglote en silence. Étrangement elle ne s'est pas remise de la mort de leur père, pas plus qu'elle ne s'était remise, il y a si longtemps, du départ de leur mère. Un flash désagréable de la scène gravé dans sa mémoire. Il se revoit si distinctement, du haut de ses cinq ans observer avec effroi son père prononcer à trois reprises le
talāq. A côté de lui sa mère tenait sa joue rougie du coup qu'il venait de lui asséner. Son déshabillé pourpre dégringolait de son épaule, dévoilant sa peau si pâle. Elle n'avait rien dit, pas plus quand elle avait serré ses enfants dans ses bras avant de dignement quitter la maison familiale. Et ce fut tout. Tout pour elle, si bien qu'il était incapable maintenant de se souvenir du son de sa voix.
Un bruissement se fit entendre et la large porte d'osier s'ouvrit au profit d'un petit homme, maigre et élégant, qui s'avança vers eux pour lui serrer la main.
- Malek Ibn Jamil, veuillez me suivre, vous et votre sœur.
- C'est Robert, Monsieur Ben Azem, et non Malek.
Un rictus de la part de son interlocuteur. Il n'était pas le premier de sa liste interminable qui promptement aimait balayer d'un revers de main les origines que lui avait transmit sa mère. Algérien il devait être, car son père l'était. Peu importe sa nationalité acquise par le sol lors de sa naissance imprévue aux États-Unis, peu importe les origines française que sa mère lui avait transmis au sein même de son prénom si particulier. Peu importe tout ça, l'ambassadeur Brahim Ibn Jamil n'avait que des enfants qui honoreraient sa famille. Ce fut le cas bien évidemment pour Zakaria-Nasser qui du haut de sa forte carrière dans la finance avait su se faire apprécier à sa juste valeur. Robert-Malek, lui, avait tenté du mieux qu'il le pouvait, de toute ses forces à dire vrai. Il avait dû, depuis si jeune, avaler des dizaines de livres de bonnes conduites indigestes, apprendre par cœur et sur le bout des doigts le noms et les informations de tout les gens qui gravitaient dans les ambassades. Robert-Malek s'était conforté dans le rôle qu'on lui avait confié. Parfait, charmeur, et tellement hypocrite. Il offrait ses sourires, ses mains tendues, plus si il en avait besoin. Il était irréprochable en tout point, même quand de vieux goguenards osaient lui asséner que la seule chose à faire pour son père avait été de répudier sa déshonorante mère. Même quand de vieilles femmes posaient les mains sur lui, et qu'il fallait, car c'était son rôle, être un bon jeune homme serviable qui satisferait ses dames. Robert-Malek avait tout sacrifié pour son père, pour la famille. Même les souvenirs de sa mère, même sa liberté et celle de sa sœur. La pauvre Roxanne, portrait craché de leur mère, si différente, si souvent blessée car elle n'était pas suffisante. A vrai dire est-ce que quelqu'un l'avait déjà était ?
L'homme se racla la gorge en s'écartant devant l’embrasure de la porte pour les laisser passer.
- Votre frère est déjà arrivé. Si vous voulez bien vous installer nous allons pouvoir procéder à la lecture du testament.- Je dois vous parler avant.Monsieur Ben Azem l'observa avec une certaine attention, le visage penché sur le côté droit, il ressemblait ainsi à une sorte de moineau grotesque. Roxanne se tourna vers lui, tremblante, il l'embrassa sur le front et l'a poussa gentiment vers la porte avant de la refermer d'un geste brusque.
- Je sais qu'il l'a déshérité.
- Qui donc monsieur Ibn Jamil ?
- Roxanne. Vous savez très bien qu'il ne s'agit pas de sa fille.
Il y eu un bref silence tandis que le notaire remettait ses lunettes sur son nez.
- Je sais. C'est une position fâcheuse, il ne pouvait pas se débarrasser d'elle en même temps que le divorce avec votre mère, cela aurait fait mauvais genre. Elle n'aura rien, c'est bien normal. Mais rassurez vous... Votre père a eu la grande bonté de lui permettre de rester dans la maison familiale jusqu'à ce qu'elle se trouve un époux convenable.
- C'est bien normal ? Mais vous...Sa voix mourut tandis qu'il sentait la colère grimper en lui. Il ne devait pas se laisser dominer, il était inconcevable que cela arrive, surtout aujourd'hui. Il refusait de leur donner raison, à tout ses salopards qui se sentaient bien mieux que lui, bien mieux que tout le monde. Robert-Malek serra les poings, déglutit difficilement. Ce n'était pas la première fois que cela lui arrivait, bien entendu, à chaque fois il avait s'agit de son père. A chaque fois. La première fois qu'il avait senti toute cette rage s'emparer de lui, c'était cette nuit là. Avant le
triple talāq lorsque les cris l'avait réveillé. Il savait que Roxanne dormait puisqu'il avait passé sa tête par l’embrasure de sa porte avant de descendre. Son grand-frère était déjà en bas. Leur père, fou de rage, brandissait le test de paternité qu'il avait fait faire sur ses trois enfants. Ils étaient tous positifs sauf celui de Roxanne bien évidemment. Zakaria-Nasser s'en était servi pour faire une différence, mais lui, lui il n'avait jamais pu. Elle était la fille d'une traînée, on disait qu'elle serait comme elle. Et tout aussi injustement, personne n'avait jamais voulu lui dire l'horrible vérité. Parce que Roxanne adorait son père, elle recherchait constamment son amour, son approbation. Il ne lui avait jamais offert, jamais. Alors il l'avait toujours protégée.
- Donnez lui ma part, je me moque de l'argent. Elle ne peut pas l'apprendre, elle ne peut pas.
- C'est impossible Monsieur Ibn Jamil, je le regrette mais c'est impossible.
- Pourquoi ?! Je vous payerais, je m'en moque vous comprenez.
- Mais Monsieur... Il ne vous a absolument rien laissé. Et la rage se transforma, elle décuplait, se mêlait à son être, à son cerveau, son corps. Il ne s'entendit pas hurler, pas plus qu'il ne s'entendit pas briser la porte a coups de poings. C'en était trop, c'en était trop. Il avait supporté les coups, la honte, la pression. Il avait vécu dans les humiliations constantes, pour honorer la famille, pour son père. Et lui, et elle dans tout ça, qu'est-ce qu'il aurait bien pu faire d'autre ? Alors il s'effondra, en larme, trouvant les bras de sa sœur comme seul réconfort. Il avait toujours s'agit d'elle et de lui de toute façon. Rien d'autre.
- Alors joli minois ? Tu viens d'apprendre que père t'as déshérité ? S'il n'avait pas était si exténué il aurait pu le tuer, il ne lui aurait rien laissé qu'un visage en charpie, pour tout ce qu'il avait vécu. Parce que son frère était comme son père, il était son digne héritier.
- Ta gueule Zakaria, TA PUTAIN DE GUEULE. Viens on s'en va Roxanne, on s'en va.
- Mais et Papa ? Je ne peux pas partir comme ça...
- IL NE T'AS RIEN LAISSE ! Putain il ne t'as rien laissé Roxanne. Tu n'es pas sa fille. Il y eu un silence de mort, interminable, et comme s'il s'était brisé quelque chose entre eux, pour toujours, elle murmura, si peu sûre d'elle et le cœur en miette un simple
« Pars. » *******
Marie-Anne Delacour venait d'une longue lignée qui avait fait fortune dans les minerais. Elle avait rencontré Brahim Ibn Jamil alors qu'elle n'avait que 17 ans. Ce fut un coup de foudre, pur et beau, un véritable conte de fée. Les noces furent très vite prononcés, et tout aussi rapidement naquis Zakaria-Nasser. Brahim était ambassadeur, et sa femme le suivit dans tout ses déplacement. Ce fut le début de la fin. Il n'est pas facile d'être femme d'ambassadeur, la pression, le protocole pourtant Marie-Anne les connaissaient, elle avait toujours connu cela au sein de sa famille. Mais ce n'était pas ce qu'elle voulait pour son fils. Brahim était plus vieux qu'elle, bien plus vieux. Il avait 38 ans lors de leur mariage, c'était des choses qui arrivait. Mais Marie-Anne voulait de la liberté, elle voulait vivre, rêver et rencontrer. Les disputes arrivèrent alors qu'elle était enceinte une seconde fois. Elles s'intensifièrent après la naissance de Robert-Malek, et continuèrent de plus belles après la mort prématuré de leur troisième enfant : Rose-Sofia n'avait que 6 mois.
Alors Marie-Anne se mit à rechercher du réconfort autre part, et Brahim pour colmater la brèche décida de la bourrer aux anxiolytiques. Cela ne marcha qu'un temps, et bien vite Marie-Anne trompa son mari, à plusieurs reprises. Cela arrive aussi, ce n'est pas si grave. Alors quand elle se rendit compte qu'elle était enceinte Marie-Anne pria de toutes ses forces, mais Roxanne n'était pas comme ses frère, pas même comme Rosa-Sofia. Elle était son portrait craché, rousse, laiteuse, et surtout elle avait des yeux verts, si beaux, si profonds, comme personne de sa famille n'avait jamais eu. Alors elle comprit que c'était terminé.
Trois ans passèrent et lorsque il revint ce soir là avec le fatidique papier, rouge de rage, elle comprit. Elle ne chercha pas à discuter et elle cru, réellement, que ses enfants seraient heureux sans elle.
Quatorze ans passèrent jusqu'à la mort de Brahim, et lorsqu'elle apprit qu'il avait déshérité ses deux derniers enfants elle décida que tout cela avait assez duré. Elle les recontacta, Roxanne ne répondit jamais. Pourtant Robert-Malek lui, vint jusqu'à elle en France. Il avait passé un an en Inde, à faire du bénévolat depuis la mort de son père et il n'avait plus jamais eu de contact avec le reste de sa famille. Ce fut lors de son vingtième anniversaire qu'il arriva comme s'il ne s'était jamais quitté. Il lui avait pardonné son départ, tout ce qui était arrivé. Marie-Anne et lui vécurent heureux pendant un an, il avait retrouvé sa mère et c'est tout ce qui lui importait. Néanmoins, comme la vie n'est jamais facile, Marie-Anne s'éteignit un vendredi d'été, à la suite d'une longue maladie. Robert-Malek hérita, cette fois-ci, de la fortune familiale.
Une fois que les papiers furent mit en ordre, et la maison vendu Robert-Malek décida qu'il était temps de partir. Il choisit, totalement au hasard, les Etats-Unis. A vrai dire il y avait passé une grande partie de sa vie. Mais pour y faire quoi ? Pourquoi pas étudié, pourquoi pas, pour une fois, tenter d'avoir une vie normale. C'est comme ça qu'il partit pour Blackwel, en toute simplicité.