Après la nuit
- Trigger Warning:
Drogue, Troubles mentaux, Anxiété Sévère, Idées suicidaires, TS
"Et t'faire écouter le son de carillons qu'fait le claquement des drisses de pavillon
Contre les mâts, avec en fond le grand fracas de la mer qui rapporte,
Et au dessus la procession de cargo des nuages bas et blancs.
Je voudrais te faire rencontrer les femmes cyprines et les bolqueens
Qu'elles nous habillent de robes et de diadèmes au croisement d'Amsterdam,
Et d'la 80ème pendant que moi je te mettrais au poignet des bracelets de tissu
Qui deviendront des bracelets de fleurs, puis des rubans, puis des violons."
On raconte que lorsque la Mort s’apprête à apposer son baisé glaciale sur vos lèvres, la Vie, dans sa grande bonté, vous offre le droit, une énième fois, de revoir le court-métrage de vos souvenirs. Seul. Dans un triste moment rien qu’à vous.
Et pour toi, si ta vie avait été un genre de réalisation hollywoodienne à gros budget, t’aurais été cette rom-com qu’on se passe sans se lasser pendant les vacances d’hiver. Le genre de truc poignant un peu larmoyant, mais pas trop non plus. Le genre qui vous réchauffe et vous donne envie d’aimer. Qui vous fait rêver. Un genre de Love Actually qui aurait rencontré Docteur Patch. Un truc qui pue le bonheur à plein nez. Une intraveineuse d’espoir. Un joli pansement qui nous fait penser que tout va bien dans le meilleur des mondes. Un truc dément. Un truc parfait. Car oui… Ta vie était parfaite.
Pas d’enfance traumatisante, pas de violence, pas de haine, juste de l’amour, beaucoup d’amour. Énormément d’amour. Tellement que c’en était presque énervant. Milieu aisé, sévérité factice. Enfant unique, joyeux précieux. Tu étais, le hasard d’une rencontre, d’un amour d’été qui au lieu d’être fugace s’est avéré blindé. Tu étais le sourire de ta mère, sa voix, son grain de peau laiteux venu du nord. Tu étais la franchise de ton père, son humour et le charme français de ces mots qu'il maniait si bien. Improbable certes, mais n’était-ce pas plus intéressant comme ça ?
Et puis t'es devenu un problème. Tu es devenu des crises spectaculaires, violentes et irrationnelles. Tu es devenu les cheveux blancs naissants sur les tempes de ton père et les poches de cernes sous les yeux de ta mère. Personne ne comprenait vraiment même pas toi. T'as vu quelques pédopsychiatres qui, sans grandes conviction ont parlé d'anxiété modérée. Ont baragouiné que c'était pas bien grave. Que changer d'air te ferait surement du bien.
T'as pas compris. T'a juste hoché la tête puis t'as arrêté de dire à tes parents que tu étais terrifié par des choses que eux ils trouvaient complétement banal. T'as arrêté d'essayer de leur faire comprendre à quel point tu avais peur de les décevoir. T'étais déjà une déception. Le monstre sous ton lit il était en toi, mais ça tu ne le comprendrais que trop tard.
Grand père Joe était très malade. C'est ce que maman avait dit. Cela devint vite une bonne excuse pour faire "
D'une pierre deux coup." Voir trois, parce que les ventes des livres de papa ne décollaient plus depuis quelques temps. Un nouveau départ oui c'était surement ce qu'il vous fallait. Toi simple spectateur t'as suivi les adultes qui s'accrochaient à des chimères. T'as pris un avion pour l'Oregon, loin de ta France natale, c'était joli de voir le monde comme une fourmis. C'était même rassurant.
Et ça a été mieux. Pendant un temps. Bien intégré quasiment américain tu t'étais même fait des amis. Enfin tu avais mordu un autre petit garçon appelé Ezra qui avait vraiment des notions branlantes d'architecture des châteaux médiévaux, mais c'était pas de sa faute il était américain, et papa disait que les américains n'avaient pas une histoire très vieille comparée à la France. Alors t'as voulu l'aider. Mais lui il l'avait mal pris. Et y'a une petite fille qui est arrivée. Elle elle s'appelait Avalon. Et elle était un peu bizarre mais très gentille. C'était à une sortie à la plage. Toujours était-il que c'était les seuls autres enfants que tu supportais autour de toi et 2, et bien c'était déjà plus que 0.
L'enfance était douce avec eux. Grand père Joe avait fini par guérir, surement parce que vous alliez lui apporter tout les mardi des gâteaux au miel à l'hôpital. Maman disait que c'était parce qu'un heureux évènement en amène toujours un autre. T'as pas bien saisi sur l'instant parce qu'elle se plaignait toujours d'être énorme comme une baleine, et qu'elle avait hâte de reprendre les chantiers. Puis ta petite sœur est arrivée.
Avant le jour
"Je te montrerai comment décrocher les boules blanches des symphorines
Pour les éclater sous nos pieds et entre nos doigts,
Avant d'aller regarder la lumière d'un lampadaire qui rougeoie
Et qui vacille sur les berges du fleuve endormi,
Dont les risées de vent emplissent la surface."
Après l'amour vient le désamour. T'étais pas parfait. On t'avais laissé de côté comme un vieux jouet dépourvu d'intérêt. T'entrais dans l'adolescence et t'avais même pas l'audace de faire les conneries des autres parce qu'elles n'auraient eût que peu de répercutions. Elève studieux, enfant calme, chaleureux. Tu faisais tout pour briller mais plus personne ne voulait bien te regarder. T'avais Ezra et Avalon mais rien n'aurait pu remplacer l'amour que tu recherchais.
Grand père Joe était retombé malade. T'étais en âge de comprendre que si vous ne lui ameniez plus ces petits gâteaux au miel tout les deux jours c'est que cette fois il ne rentrerait pas à la maison. Quand vous alliez le voir c'était juste triste. Ta mère faisait semblant d'être forte, ta petite sœur posait jamais les bonnes questions, ton père avait autre chose à faire et toi, tu la fermais. Tu te demandais ce que ça lui faisait, de faire face à la mort comme ça, de lui faire un doigt et de lui gratter une journée de plus ou quelques heures. T'aurais bien aimé lui poser la question mais tu savais qu'il avait besoin de toutes ses forces dans ce bras de fer qui semblait durer une éternité. Puis ton père a cessé de venir. Ensuite ce fut ta mère parce que
"elle ne pouvait pas le voir comme ça" Alors bien sûr il ne restait plus que toi, ton anxiété et lui. Enfin surtout toi et ton anxiété, lui il n'était déjà plus trop là. Alors tu lui en parlais à lui, de ce que ça faisait d'être un échec. Après tout lui aussi on l'avait laissé dans un coin.
Puis un jour t'as remarqué qu'il prenait même plus ses cachets. Et c'est à 15 ans que t'a gobé sans t'y attendre plus que ça ton premier comprimé de codéine. C'était juste comme ça pour tester.
Puis personne se serait vraiment inquiété si ça t'avait tué. Mais non. C'était même pas mal finalement.
C'est comme ça que t'a commencé à écrire, tout ces mercredis après-midi passés à oublier ta vie dans les pages d'un vieux carnet que ton père t'avais donné. C'était pas de la trempe des romans de l'auteur qu'il était, mais ça te ressemblait. Parfois des poésies, souvent de la prose, d'un sujet qui te passe par la tête à tes pensées les plus noir. N'importe quel psy t'aurait enfermé si il avait pu lire une seule page de ce carnet. Mais toi, ça te faisait du bien.
Des mois durant, t'es venu le voir. Enfin t'es venu voir si tu pouvais gratter un cachetons de temps à autre. C'était devenu un rituel qui semblait calmer le monstre qui tournait en rond dans ta petite tête. Tu traversais les jours en t'en foutant et c'était la meilleure des sensations. C'était plus facile. Mais la carcasse de ce vieux Joe ne pourrait pas tenir éternellement.
T'as débarqué un mercredi et il était là. Il avait l'air d'aller mieux. T'as eut un semblant d'espoir t'as pris ce vieux bougre dans tes bras et puis toi aussi t'allais mieux alors t'as passé l'après-midi avec lui. A lui raconter ta vie, à rire de ses blagues. Puis tu t'es assoupi. Et quand tu t'étais réveillé il était parti. Comme ça sans prévenir. Tu l'as regardé un moment fasciné par l'expression paisible de son visage comme endormi puis t'as appuyé sur ce petit bouton d'appel pour voir débarquer affolées les infirmières qui t'avaient presque oublié. Même ici tu faisais partie des meubles à priori.
T'as pas pleuré. Un genre de sécheresse ophtalmique c'en était presque inquiétant. On l’a mit dans une boîte, un bois modeste, comme lui. C'était un type simple le vieux Joe. T’es resté un peu plus longtemps que les autres droit comme un i à fixer les lettres d’ors clinquantes sur le marbre gris et froid. Tu t’es senti pitoyable, parce que toi t’étais en vie. Et pas lui. Puis tu t'es senti pitoyable parce que maintenant qu'il était mort, la codéine gratuite c'était fini.
Mais bon à Arcadia Bay y'avait de quoi faire.
Je t'offrirais les hautes lumières
"Je t'emmène loin des griffes de la colère, loin des regrets, loin des nausées,
Je t'emmène loin de la barbarie et des odeurs de kérosène brûlé,
Je t'emmène courir après des filles, après des garçons, après des rêves,
Et contempler les vivants, ces gens qu'on croise parfois
Et qui nous font tomber amoureux pour deux, pour trois.
On doit encore parcourir la terre,
On doit trouver cent mille sœurs et cent mille frères,
Pour plus jamais être seul dans les cimetières,
Alors sur la colline du Palatin, par dessus les dômes byzantins
Bientôt nous serons postés, nous armerons nos flèches de diamants,
Pour devenir sagittaires et décrocher, les hautes lumières "
18 ans et déjà 2 cures de désintoxe et une overdose à ton actif. T'avais aucune idée de pourquoi t'abandonnais pas. Un mal de crâne pesant quand la psy te martelait le crâne de sa noix nasillarde "La rechute fait partie du processus de guérison."
Guérison. Tu étais donc malade. Pour tes parents un pestiféré qui ne méritait plus leur attention. Oh oui, eux ils avaient abandonné y'a un moment déjà. Ptetre que ta mère y croyait encore un peu. Peut être que c'était parce qu'elle, elle s'était battu 29h d'affilé pour te donner naissance et qu'elle avait pas envie de te laisser foutre en l'air tout ça en seulement 18 ans d'existence. Peut être que c'était pour ça qu'elle donnait encore de l'argent à ces programmes dénués de sens.
Mais ça l'avait pas empêché de te virer de la maison, parce que t'étais vraiment pas un exemple à suivre pour ta petite sœur. T'étais rentré un matin, ou peut-être un soir tu sais plus trop et elle avait balancé ton sac dehors en te disant de revenir quand t'aurais appris à te responsabiliser. Ouais. Grandiose. Puis elle t'avait envoyé un sms en s'excusant à demi mot, en te disant que c'était ton père, qu'il ne voulait plus entendre parler de toi. Que pour lui son fils était déjà mort depuis longtemps et qu'elle, elle se posait des questions.
Tu pouvais pas vraiment lui en tenir rigueur. Ou peut être que si parce que bon, c'était aussi un peu à cause d'eux que t'en étais arrivé là. Son amour pour toi se résumait désormais à te fournir assez d'argent pour vivre à peu prêt décemment, t'envoyer un sms une fois par semaine alors que tu n'étais qu'à 30 minutes de route à peine d'Arcadia Bay, et te demander si t'étais clean ou si t'avais rechuté. C'est tout. Ah non elle t'avait inscrit en cursus littérature à l'Académie Blackwell parce qu'elle pensait que tu y trouverais ta rédemption. Sur un campus.
Le plus grands concentré de clients potentiels pour les dealers. Tu te demandais à quoi ça rimait mais Ezra et Avalon allaient là bas aussi. Et toi t'avais étonnement pas assez raté de cours pour repiquer ton année. Alors soit. Tu irais.
Toujours était-il que ce soir, dans la petite chambre austère que t'offrait l'institut outrageusement cher que payait ta mère, tu ne trouvais pas le sommeil. Tu n'allais pas bien. T'avais envie de prendre un billet pour Portland et de trouver un sommeil fatal dans les chiottes miteuses d'un bar crasseux. Envie d'être le jon doe que personne n'irait récupérer et que ça soit comme si tu n'avais jamais existé. L'idée était charmante, peut être trop. Alors t'as appelé ta meilleure amie. Mais elle a pas répondu.
Tu t'es levé t'as fait ton sac t'es passé par la fenêtre, parce que ta mère avait beau payé les empotés qui taffaient ici une fortune, la sécurité c'était pas leur fort. T'as pris le dernier bus, étonnement pas celui qui te mènerait à Portland. T'es allé à Arcadia Bay parce que là bas peut être que tu retrouverais tes amis sur la plage. Ou au moins un peu de paix.
T'as marché un moment t'as jeté ton sac puis tu t'es assis pour t'apercevoir que visiblement même sous drogue t'étais capable d'avoir des allu à 1h du matin. Y'avait une silhouette qui s'enfonçait dans l'eau. T'avais bien envie de la rejoindre à vrai dire.
Mais elle s'est éloignée encore et encore. Alors tu sais pas trop si c'est dans l'espoir qu'il s'agisse d'une Selki comme dans les légendes qu'aime partager Avalon sur son Irlande natale, ou parce que tu étais happé par cette vision presque onirique. Tu l'as suivi dans l'eau. Tu t'es approché alors qu'elle allait disparaitre sous l'eau et ton cœur t'a crié d'aller la récupérer.
T'as lutté quelques longues minutes contre le courant à nager avec tes fringues qui te tiraient vers le fond à chaque nouvelle vague. Elle s'éloignait chaque fois que tu semblais toucher au but. Jusqu'à ce qu'elle coule à pique jusqu'à ce que tu ne la voies plus. Puis tu l'a attrapé par un pan de vêtement dans un geste imprécis et désespéré. Elle était bien réelle ta silhouette. Et tu la connaissais.
Tu sais pas comment t'es arrivé avec elle sur la plage. Quelle force t'es allé cherché pour vous ramener tout les deux. Tu savais pas que tu tenais à ce point là à la vie. Le temps de reprendre tes esprit tu t'es aperçu qu'elle respirait plus. T'as choppé ton portable que t'avais eu l'intelligence de jeter dans le sable avant de t'enfoncer dans l'océan. T'as tapé fébrile le numéro d'urgence et tu l'a posé en haut parleur avant de commencer le massage cardiaque le plus hasardeux de l'histoire de l'humanité. Tant pis si tu lui pétais des côtes. Tant pis si le rythme était foireux. Tout ce que tu voulais c'était qu'elle revienne.
Une voix a remplacé la sonnerie et t'as lancé terrorisé :
" C'est mon amie... Ma meilleure amie... Avalon Black... sur la plage, entre le vieux port et le phare... S'il vous plait elle était dans l'eau elle respire pas, je veux pas... je veux pas qu'elle meurt putain... Elle a pas le droit." T'écoutais à peine ce que te disais la femme à l'autre bout du combiné. Trop concentré à t'acharner à faire rentrer de l'air dans ses poumons. Et quand enfin elle a fini par recracher l'eau salée en toussant, que t'as pu la mettre sur le coté alors que la sirène de l'ambulance se faisait enfin entendre tu l'as séré tellement fort dans tes bras que t'étais pas sur de devoir à nouveau te lancer dans un massage cardiaque après ça.
T'as demandé à ce qu'on lui dise pas que c'était toi. Tu voulais pas qu'elle sache que tu l'avais empêché de faire la pire connerie de sa vie. Tu voulais pas qu'elle te soit redevable ou qu'elle te déteste au choix. On t'as filé une couverture de survie parce que t'étais trempé puis on t'as demandé si tu te sentais capable de rentrer chez toi seul. Ouais. T'as répondu que oui. Ton chez toi c'était elle et Ezra. Mais c'était pas grave. Puis ils l'ont emmené et tu t'es retrouvé de nouveau seul. C'est là que tu t'es effondré en sanglot en te promettant de faire en sorte d'aller mieux.
Ne serait-ce que pour eux deux.T'avais pas pleuré depuis tes 8 ans. Puis t'es rentré. A pieds. Tu t'es fait passer un savon par le surveillant de l'institut. Mais t'as pas bronché. T'es allé te coucher. T'as choppé une pneumonie d'ailleurs. C'était un peu nul. Mais c'était pas grave.
Avalon était en vie, et elle aussi, elle irait mieux.