I'll take it all from you
Je suis née dans la précarité. Mes parents et moi vivions dans un camping-car. On longeait la côte, dormait au bord de la route, dans les bois, nous endormions au bruissement des vagues. On s'est arrêté dans un camping un jour et on y est resté sept ans. J'ai pu aller à l'école. Il me restait deux ans d'école primaire à suivre quand ma mère est partie. Elle était lassée de cette vie. Lassée de mon père. Lassée de moi. On a repris la route. Mon père était malheureux. Nous parlions peu. Je lui pesais. Du jour au lendemain, il s'est arrêté devant une maison, m'a dit d'aller chercher quelque chose dehors et est partie. C'était la maison de mon oncle. Une vieille baraque.
Mon oncle était un homme infâme. Sa violence me terrifiait. Il régnait sur le foyer, battait sa femme, son chien, moi, et aujourd'hui je suis encore soulagée par le fait qu'il n'ait pas d'enfant. Il me mettait parfois dehors pour n'importe quelle raison. Quand il a appris que je sortais avec mon premier amoureux au début du collège, il m'a mise dehors. Je n'ai pu rentrer que cinq jours plus tard. Quand il a appris que je sortais avec ma première amoureuse en troisième année de collège, il m'a battue jusqu'au sang et m'a jetée dehors. Il m'a laissée rentrer deux semaines plus tard. Il m'a battue à nouveau. J'ai fini par me mettre dehors moi-même à quinze ans.
Mon oncle était un homme méprisant. Ma tante vivait dans le silence. Plus de coups. Plus de cris. J'étais seule désormais. À quinze ans à la rue, je volais et manipulais pour m'en sortir. Ma belle gueule trouvait la première personne désespérée venue et je me trouvais invitée d'honneur dans les maisons. Je passais quelques jours et je disparaissais. Je ne pouvais laisser qui que ce soit découvrir qui j'étais et me ramener chez mon oncle.
C'est en mentant que je vivais ma vérité. Mais cette vérité était instable, et au bout d'un an et demi ainsi je compris qu'il me fallait faire autre chose. Reprendre les cours. Avoir un métier, une ville, un cercle de gens. Je devais me fondre dans la masse en tant que quelqu'un. Être personne était fatigant.
Je suis allée au lycée, puis ai travaillé ici et là. Je suis arrivée à Arcadia Bay il y a deux ans. Je dors où je peux, souvent sous une tente dans les bois, parfois je m'incruste l'air de rien chez un ami. Je ne veux pas laisser savoir que je suis précaire. Je paie mes études avec mes quelques économies et le travail à temps partiel que j'ai dans un bar de la ville. Je suis obligée de voler régulièrement pour survivre. J'étudie les maths, parce que je suis douée pour ça, étonnamment. Je comprends mieux les sciences que les arts. Tout est logique. Codé. Les gens sont pour moi des nombres, et je sais les manipuler. Même si, au fond, j'aimerais bien ne plus avoir à me battre. Me poser. Avoir une situation. Cela arrivera peut-être un jour.