Emotional cripple

La vie c’est une sorte de contrat. Un emprunt à long terme fait à un banquier un peu plus véreux qu’un autre. Du moins c’est ma conception de la chose. Y’en a qui vont à l’église tous les dimanches, moi je spécule sur les actions en bourses du temps qu’il me reste ici bas pour foutre la merde plus que la génération précédente.

Vu que tout va bien dans le meilleur des monde, là vous vous dites : Le bougre n’est qu’un gosse de riche, du lait encore au bout du nez. Pas si spécial. Il n’a rien trouvé d’autre à faire que nous étaler ses théories philosophiques à deux balles de millénial en quête d’amour propre. En somme vous n’auriez pas tort. Sauf que je ne suis né trop tard pour être un millénial et que rassurez vous, mon ego va très bien. Puis au fond si vous êtes ici c’est que vous aussi, vous avez du temps à perdre… Pour faire simple je suis le fils caché d’une des jumelles Olsen, choisissez votre préférée moi c’est la blonde, et Macaulay Carson Culkin mais en brun, sinon c’est surfait. C’est une image, bien entendu. Mais si ces gens charmants avaient fini, par le plus grand des hasard en couple, j’aurais tout aussi bien pu être leur rejeton que ma vie ressemblerait au même ramassis de conneries qu’actuellement.

Pourtant je ne suis pas vraiment à plaindre, je l’ai eu mon heure de gloire. A être ce sale con qui rit sous cape, du comportement décérébré de l’autre. A être ce sale type qui se sent au dessus des autres, mais qui comme le reste, brasse de l’air sans jamais remonter à la surface. Alors je les ai enchaînées les conneries, les lèvres pendues au goulot d’une vie plastique et amère dans laquelle je me confortais, en haut du monde, en haut de la chaîne alimentaire, fière et puissant sur mon piédestal branlant. Après tout qu’est ce qui pouvait m’arriver de pire que la vie ? Je me suis fichu des autres avec un groupe de cool kids tout droit sortis d’un hashtag. J’ai piétiné des cœurs. J'ai bousillé des gens.

Je m’appelle Clyde. J’ai 19 ans, et quand on y pense c’est déjà beaucoup. 19 ans c’est 6935 jours, 166440 heures, 9,986000 minutes et 599159999,84256 secondes. Enfin approximativement. On pourrait se dire que je me fais passablement chier dans la vie pour calculer ce genre de trucs, mais en 2019 une simple recherche google suffit à vous fournir un résultat relativement juste du temps que vous avez gâché à vous demander si les pingouins avaient des genoux. La réponse est oui au passage.

Et non... je ne suis pas un petit génie des mathématiques, j'exècre cette création du démon.

Je voudrais vous raconter un truc heureux. Croire au grand amour et toute ces stupidités qu’on nous rabâche à longueur de temps.

Le problème c’est que je ne suis guère plus qu’un con dramatique et sardonique.

Si je devais vous parler du temps je vous dirais que c’est une vaste arnaque. Que j’en ai passé trop à réfléchir au conséquences illusoires d’actes que je n’ai jamais commis. Je vous dirais que passer des heures à attendre que les décisions se prennent d’elles même ce n’est pas vraiment la bonne solution pour se sentir vivant. Je vous dirais que j'ai souvent trop attendu pour m'excuser. Ou que parfois je n'ai même pas pris le temps d'y penser. Et dans un coin de ma tête je repenserais à toute ces fois ou j’ai attendu de la part de mon géniteur un geste tendre ou un mot d’encouragement. Un illuminé a dit un jour que l’espoir faisait vivre, un autre un peu plus sain d’esprit lui a répondu que la longue attente faisait mourir. Cliché de la gamine américaine en plein Daddy issues, parfois je me demande combien de temps il me faudra encore pour comprendre que ce type ne se comportera jamais en père pour moi.

Si je devais vous parler de l’amour, un rire rauque remonterait le long de ma gorge en guise d’introduction. Je vous lirais bien quelques passages d’Antigones. Je vous réciterais bien un sonnet. Mais moi j’ai pas bien compris la définition de ce truc. J’ai aimé. Je crois. Mais j’arrive pas non plus à me décider. L’amour c’est comme tout, ça passe. J’aime une nuit parfois plus, j’aime une personne parfois plusieurs. J’aime tout le monde mais je les hais tellement. Choisir quelqu’un ce serait lui imposer de me suivre alors que j’ai la stabilité d’un château de carte posé au milieu d’un ouragan. Je suis peut être qu’un égoïste de première effrayé par la notion d’engagement. Je suis peut être comme mon père. Et en y réfléchissant bien, ça me va comme ça. Je suis pas sûre d'avoir envie d'aimer.

Et si je devais vous parler de ma vie. Je marquerais un long silence, trop angoissé à l’idée d’être comme tout le monde. Seulement c’est le cas, starter pack du type ordinaire avec sa dose de pathos et son grain de folie. Je suis né en décembre, de l’amour éphémère entre une jolie nana populaire et l’allégorie de l’adultère. Elle a tout lâché pour lui, à moins que ça ne soit pour moi. Trop innocent. Je ne savais pas encore à l’époque que nous courions, agneaux bien dociles, vers les méandres tortueux des familles de parjure.

J’ai grandi doucement, bien accroché dans mon cocon douillet. C’est vrai que Papa n’avait pas l’air de faire cas de mon existence, mais Maman suffisait bien à me vendre un rêve à la place de la réalité. Je ne lui en veut pas vraiment. Elle ne faisait que me protéger… Et puis tout s’est effondré. On pense souvent à tort que les choses viennent avec le temps. Mais c’est faux. Mon monde idyllique est tombé d’un coup le jour où j’ai cessé de le regarder avec mes yeux d’enfants.

Maman s’est fanée. Il faut dire qu’entre un pitoyable carriériste et un ado en pleine rébellion sociétale elle avait gros à faire dans la grande ville de L.A. Rêve Californien trop vite oublié, trop vite balayé. Le gamin s'est retrouvé dans un orage tortueux.

Elle a dit: " C'est ça va voir ton énième salope ! "
Il a dit : " Tait toi, tu me fatigues avec ta paranoïa à deux balles. "

C'est là que j'ai commencé à déconner. A foutre en l'air tout ce que je trouvais beau. Tout ce qui avait un minimum de sens. J'ai cessé d'espérer être quelqu'un de bien, parce que ce n'était visiblement pas inscrit dans mes gènes. Je suis devenu le prototype parfait du mec détestable. Paumé. En chute libre.

Pourtant j'ai gratté, hurlé, cherché à me raccrocher à ce que je pouvais. J'ai développé au lycée cette fascination incompréhensible pour les salles obscures. Je me suis enfermé dans des histoires car la mienne prenait un mauvais court, j'admirais des personnages fictifs à défaut de chercher à m’apprécier moi même. Je rêvais d'écrire de beaux discours, plus beaux encore que ceux du cercle des poètes disparus. Je rêvais de monologues qui laissent sans voix comme celui de Will Hunting dans les bureaux de la NSA. Je rêvais moi aussi un jour de permettre à ceux qui rêvent trop, de s'échapper pendant 90 minutes d'une réalité étouffante.


Mais sorti de la grande boite noire, je redevenais Clyde. Le mec qui s'attaque aux autres de peur qu'on ne l'attaque lui. Le mouton frustré par l'absence d'amour. Le gamin paumé dans le divorce de ses parents.

Et il y a eu cette phrase. Pleine de haine. Pleine de sens. On ne sait pas quoi faire du morveux assis là dans un coin de la petite salle de réunion, engoncé dans son costard trop grand. J’étais devenu pour l’une une montagne de problèmes insurmontables. J’étais devenu pour l’autre une monnaie d’échange plus rare que le platine. Une énième engueulade, l’homme que j’ose à peine regarder sans avoir la nausée tape du poing sur la table devant l’impuissance néfaste des avocats des deux camps. Une femme désabusée se lève, pleine de rage et de chagrin elle chuchote contre toute attente :

“ Tu n’as qu’à le garder. De toute façon il est comme toi. “

J’ai cessé d'exister comme le fils parfait. J’ai cessé de me prendre pour le roi d’un monde crasseux. Je suis devenu un meuble parmi tant d’autres sur la longue liste des biens qu’ils devaient se partager. Elle avait raison. J’étais comme lui. Un idiot incapable d’aimer quelqu’un d’autre que lui même. Un gamin égocentrique qui n’a pas cessé de prendre la vie pour un jeu. Un sac en toile de jute malmené par les affres de l'égoïsme parentale.

Je me suis promis de changer. Je me suis promis de me barrer. De faire un truc concret de ma vie. Moi le tabouret ikéa sans valeur monétaire. Moi la dernière arme de mon enflure de père, pour briser ma mère. Moi, le gosse de riche bien seul dans une maison trop grande pour deux personnes. Faut bien compenser ce qu’on a pas...

C'est en arpentant internet que je suis tombé sur la brochure l'académie Blackwood, c'est en fouillant dans ma mémoire que je me suis rappelé l’existence d'une Tante psychorigide qui avait fait fortune dans l'immobilier à Arcadia-Bay. C'était pluvieux, moche et sans âme. A 13H de route de tout mes problèmes. A 13h de route de tout ceux qui me connaissaient.

C'était parfait.