What's worth living ?
Les lumières. Ces horribles lumières. Il était là. De retour. Comme tous les soirs. Il ouvrit la porte. Je fis semblant de dormir. Il la referma. J'entendis claquer les bouteilles dans la cuisine. Il était malheureux. Le jour, il se démenait à l'entrepôt. La nuit, il buvait. Il dormait peu. Je le constatais chaque matin. Je le croisais à peine avant d'aller à l'école. Il était avachi quelque part dans la maison, puant l'alcool et la sueur, reniflant ses larmes. Et parfois, il ouvrait les yeux pendant une seconde, m'apercevait, et pendant cette seconde je voyais dans son regard tout le regret qu'il portait.
Le secret de m'avoir en fardeau. Le reste d'une autre vie, heureuse, gâchée du jour au lendemain.
Il devait m'aimer au fond mais cet amour était teinté de douleur. Il ne me faisait pas de mal. Il avait juste du mal à me voir, à être en ma présence. Il me laissait de quoi survivre. Il me déposait à l'école le matin en partant au travail.
Ce matin-là était différent. Les mains crispées sur le volant, il contemplait le rétroviseur. Je sentais son regard sur moi. Je le fouillais à la recherche de mots qu'il ne m'avait jamais dit. Je n'y vis que du malheur. Sa mélancolie le consumait. L'alcool, le manque de sommeil, le deuil, le goût du rien, l'ennui de tout, la fatigue tenace, une tempête de maux qui nous écrasa.
Un camion, paraissait-il. C'est ce que les infirmiers m'avaient dit lorsque je m'étais réveillée à l'hôpital. Le choc avait été si soudain que je m'étais aussitôt endormie, sauf qu'à la différence de mon père, je m'étais réveillée. Je n'avais jamais souhaité me réveiller.
J'avais mal partout, une douleur effroyable, qui s'atténua au fil des jours alors que mes plaies et fractures guérissaient. Sauf une. Je ne m'en étais rendue compte qu'au bout de la deuxième semaine, car depuis mon réveil personne n'avait osé me le dire. Il y avait cette douleur horrible qui me rongeait la jambe droite. A bout de nerfs, et ayant retrouvé quelque faible force, j'avais tiré le drap pour voir l'étendue des dégâts.
Il n'y avait aucune étendue, puisqu'il n'y avait pas de dégâts. Il n'y avait plus rien. Le vide sous mon genou droit. J'avais perdu la moitié de ma jambe et pourtant elle me faisait encore effroyablement mal.
Les dernières économies de mon père et l'argent de la vente de notre maison me permirent d'obtenir une prothèse assez réaliste, avec un pied en forme de vrai pied. Ma prothèse était taillée par rapport à ma jambe gauche pour être la plus discrète possible sous les vêtements. Cela ne rendait pas le deuil plus facile, mais avec de la rééducation je pus marcher à nouveau.
Je fus placée en famille d'accueil. Je ne m'en sortais pas à l'école, et chaque année l'argent qu'il me restait de mon père s'épuisait dans le renouvellement de la prothèse. Devant les frais médicaux exorbitants, aucune famille ne voulut jamais m'adopter.
Je les comprenais, j'étais un poids. Je faisais tout pour me débrouiller seule, mais le simple fait de prendre une douche dans une salle de bain non adaptée était un enfer. Avec le temps, j'appris à me débrouiller seule, mais le vide sous mon genou droit représentait tout de même un poids immense pour moi.
Je m'émancipais à seize ans. Personne ne voulait s'occuper de moi, alors je préférais me soutenir moi-même. L'émancipation avait été difficile, vu ma condition physique, mais j'étais agile, j'avais su montrer que je pouvais survivre seule.
Du moins, c'est ce que je me dis lorsque je reçus ma liberté du système d'accueil. En vérité, j'imaginais bien que mon assistant social devait être soulagé de ne plus avoir à me trouver de nouvelle famille où me placer. J'étais un fardeau.
Je trouvai un travail en
fast food. Je venais d'abandonner le lycée. Les frais scolaires étaient beaucoup trop chers et je voulais renouveler ma prothèse une dernière fois avant de ne plus avoir du tout d'argent de mon héritage. J'avais caché l'existence de ma prothèse, mettant toute mon énergie dans la tenue d'une démarche naturelle. J'évitais au mieux de cogner ma jambe, de m'asseoir pendant mon temps de travail, de me changer en présence de collègue.
Je rencontrai Sofia, arrivée deux semaines avant moi. Elle m'apprit à faire les meilleurs burgers et je m'accrochais à son sourire. Je n'avais vu que le malheur dans les yeux de mon père et je découvrais un regard joyeux, éclatant, sur le visage de Sofia. Elle avait deux ans de plus que moi et son regard me brûlait. Elle m'embrassa une fois dans les vestiaires. Puis deux. Et la troisième fois, ses mains se glissèrent sous mon t-shirt puant la friture.
Il n'y eut jamais de quatrième fois. Cela n'alla jamais plus loin. Mon attention s'était détournée pendant une seconde, le temps de croiser le regard vif de Sofia, et je trébuchai sur le carrelage glissant. Je tombai en arrière, lâchant l'énorme sachet de frites surgelées que je portais. Sonnée par le choc, je pris plusieurs secondes à ressentir l'absence de ma prothèse. La prothèse qui avait besoin d'être changée pour une taille adulte gisait deux mètres plus loin. Mon moignon exposé répandit la terreur dans le regard de Sofia.
- Je suis toujours la même ! m'étais-je efforcée de lui dire.
- Tu aurais dû prévenir.
- Tu ne m'aurais jamais aimée si je te l'avais dit !
- Je ne t'ai jamais aimée, trancha-t-elle.
Je fus virée le même jour. Mon secret n'avait pas plu.
Je fuis la ville, partant en auto-stop pour une destination hasardeuse. Débarquant dans une bourgade, j'utilisai le peu d'argent qu'il me restait pour me faire faire une prothèse adulte.
J'enchaînais les petits boulots, pendant longtemps, partant toujours dès le moindre soupçon sur ma condition physique. Je fuyais toujours, progressant vers la côte sans raison. Trouver du travail s'avérait de plus en plus difficile. La plupart de mes conquêtes me fuyaient aussi lorsqu'elles découvraient mon corps nu.
Un soir, j'acceptai l'offre d'un homme, rien qu'un soir, en échange d'un peu d'argent. Je ne le refis plus jamais. Cela me dégoûtait, et même si j'avais souhaité me lancer dans ce métier peu attirant, ma jambe mutilée aurait très vite mis fin à ma carrière.
Je commençais à escroquer, de ville en ville, chaque femme qui tombait sous mon charme. Je volais les passants, subtilisais de la nourriture et quelques objets dans les magasins. Je parvins éventuellement à la côte. Arcadia Bay. Il y avait une belle école ici, école bien au-delà de mes moyens. Je m'y rendais parfois, pénétrant dans l'enceinte incognito, me faisant passer pour une élève ayant oublié sa carte étudiante si je me faisais prendre. Je venais me laver, voler un peu de nourriture, et me réchauffer, puis je repartais dans la rue.
C'est dans la cuisine du
fast food, alors que je gisais piètrement sur le sol, que j'avais compris. Je n'étais pas un fardeau. J'étais un cafard. Je me glissais partout où je n'étais pas désirée, et si l'on me découvrait on m'écrasait.
Alors je faisais tout pour garder mes secrets, quitte à être la clocharde la plus pourrie d'Arcadia Bay.
aka 
(je passe vous voir sous peu pour voir si vous méritez la validation.)
tu peux désormais aller flooder comme il se doit, voter aux topsites (et passer faire un tour quand tu le voudras sur PRD et Bazzart poster un petit message gentillet sur le forum, si tu trouves quelque chose de bien choupinou ou non à dire 
