Boris Pavlikovsky - "twat"

Le moins qu'on puisse dire de Boris, c'est qu'il a eu une vie tumultueuse. Il est né d'un père ukrainien et d'une mère polonaise, dont il ne sait pas grand chose. Une prostituée dont son père se serait entiché ? L'amour d'une jeunesse perdue trop tôt, tombée du balcon quand Boris était encore petit, morte sur la neige, rouge sur blanc, un panorama lugubre heureusement pas encré dans sa mémoire ? Il ne saura certainement jamais, surtout qu'il n'a plus de contact avec son père depuis de nombreuses années : pas depuis ses seize ans, quand il a quitté le Nevada pour s'envoler au gré du vent vers sa jeunesse oisive. Mais ne nous empressons pas, il y a de nombreuses choses à dire sur ce phénomène. Retournons à la source.
Enfant, Boris a beaucoup voyagé. Trimballé dans les bagages de son père, d'un pays à l'autre, d'une ville glauque à l'autre, des endroits glacials au cœur de la Sibérie sans mère, sans laverie, seulement des poissons morts et une mauvaise connexion Internet, des endroits comme Karmeywallag où la seule chose qui ressortait du crachin gris était le palmier clignotant en néon vert qui illuminait le parking du bar où son père aimait boire. Ce dernier, un petit homme plutôt terrifiant, trapu et aux yeux injectés de sang, détruit par des années d'alcoolisme et de travail à la mine, ne restait pas au même endroit plus d'un an d'affilé. La mine où il travaillait le faisait beaucoup bouger, dans des endroits où elle promettait qu'elle ne détruirait pas l'environnement et où, au final, elle détruisait l'environnement, obligeant tout le personnel à changer de ville, voir de pays.
Petit, Boris était un enfant expansif, comme il le restera toujours, mais on pouvait le méprendre timide de par la barrière de la langue. Dans des endroits comme l'Ukraine, la Russie ou la Pologne, il connaissait les dialectes et ne s'arrêtait de parler que pour manger et dormir, deux choses qu'il faisait à profusion. Il n'apprit l'anglais que sur le tard, vers l'âge de onze ans, justement, à Karmeywallag, avec Judy. Grâce aux chansons du Junk Box et aux séries TV que Judy regardait, et à l'éducation de la jeune femme : "Ceci est chaise, ceci est tabouret de bar, ceci est fourchette." Un mot après l'autre, jusqu'à ce qu'ils eurent à se faire leurs adieux pour que Monsieur Pavlikovsky traîne son fils dans la prochaine ville glauque d'Amérique du Nord.
Il n'eut pas de véritables problèmes d'éducation, bien que son parcours scolaire fut plus décousu et incomplet qu'aucun autre enfant. Parfois, il devait aller à l'école là où il n'y en avait pas, et où l'éducation à distance était impossible due au mauvais réseau Internet, alors il a beaucoup lu, assis sur son lit, en Russe, en Anglais, en Polonais, en Ukrainien. Après Tolstoï et Dostoïevsky sont arrivés des auteurs plus obscures des pays du Nord, et il dévorait tout avec appétit. Naturellement bon en maths, avec une aisance hors du commun pour les langues, il n'avait pas trop de difficultés scolaires, bien qu'une fois arrivés dans le Nevada, à l'âge de quinze ans, l'argent américain et le fonctionnement du gouvernement le perturbaient, ainsi qu'un milliard d'autres choses qui semblent naturelles à tout Américain natif.
Ce fut dans le Nevada qu'il rencontra son grand ami et meilleur ami, Theo. Ils allaient au même lycée et étudiaient Thoreau ensemble, avec une application toute particulière et un attrait pour la langue qui les rapprocha. Mais ce qui les rapprocha le plus, c'était l'absence d'une figure parentale autoritaire qui les auraient obligés à vivre une vie plus rangée et moins anarchique. Sans argent, ils volaient au petit magasin discount au bout de la ligne de bus, fumaient de l'herbe ensemble, buvaient à profusion et avec régularité, regardaient des films ensemble et bientôt ils furent inséparables, jusqu'à temps que Theo dut s'en aller à la mort de son père, laissant Boris seul avec son père, à seize ans, avec un secret sur le dos et des dettes par-dessus les bras.
Ces dettes, il les combla bien vite en vendant de la drogue, majoritairement de la cocaïne, aux élèves de son lycée. Puis, lassé des déserts sans fin, il se décida à partir. Peu effrayé par l'éventualité de vivre dans la rue, il déambula dans divers villes d'Amérique, la faim au ventre et débordant d'un optimisme à toute épreuve. Il vécut sa vie de jeune adulte dans des motels sales, des auberges de jeunesse et des avions. Il se maria jeune, trop jeune, alors qu'il avait à peine vingt ans, avec une magnifique blonde du nom d'Astrid, avec laquelle il ne s'accordait ni par physique ni par caractère. À l'âge où Boris se décida brusquement de prendre un tournant dans sa vie et de retourner sur les rangs de l'école, échouant au hasard à Arcadia Bay, il avait déjà deux enfants avec elle, qu'il connaissait à peine et n'avait vu qu'une paire de fois. Peu fier de son statut de père indigne, il aurait bien été tenté d'envoyer quelque chose, une pension alimentaire, mais Astrid n'était pas femme à se faire entretenir, alors il vivait loin d'eux, loin de la Suède au blanc éclatant et des pistes de ski. Il trouva que c'était une brillante idée que de reprendre les études et se pencha vers les lettres, pour lesquelles il avait toujours eu un attrait particulier. Il était plus vieux que la plupart des autres élèves, vivait dans un appartement en ville payé par l'argent sale de la drogue, car il n'était pas du genre à se trouver un travail sérieux, et vivait une vie de parfaite tranquillité, fêtard, irresponsable, jamais à court d'histoires à raconter.

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