( Summer Is Coming )
♪ Février 2019. Le séminaire de cette semaine traitait de l’imaginaire et des mondes merveilleux. Alec n’avait pas réfléchi longtemps et avait gagné la bibliothèque du campus pour y dénicher une copie du livre de Lewis Caroll. Pour sa plus grande surprise, celle-ci était d’une rare beauté ainsi peuplée d’illustrations originales et d’une jolie couverture colorée avec goût. Les mots filaient et enveloppaient le lecteur d’une nostalgie enfantine. Alec présenta sa carte étudiante et remercia la bibliothécaire de bien vouloir inscrire le prêt dans son dossier. C’est avec un sourire aux lèvres et une insouciance retrouvée qu’il avait quitté les lieux et s’était mis en quête du lieu rêvé pour faire se rencontrer sa lecture et la réalité. Ses pas guidèrent l’Alice écossaise jusqu’à l’entrée du lapin blanc, dans le parc situé non loin de l’académie. Là, il trouvé une étendue d’eau scintillante qui lui rappelait la magie des étoiles et un arbre sur lequel il pourrait s’appuyer confortablement. Satisfait de sa trouvaille, le jeune homme s’assit et cala ses larges épaules sur le tronc ridé du vieux chêne. L’étudiant appréciait ce temps et le jugeait propice à l’aventure. C’est ainsi qu’il s’y plongea corps et âme, oubliant ses regrets, ses états d’âme. Il n’y avait plus que lui et son enfance. Il se perdit tant et si bien dans le Pays des Merveilles qu’il l’avait déjà terminé de moitié quand quelque chose attira son attention. La princesse des cœurs, bien moins colérique que ses parents se présentait à lui, un appareil photo à la main. Elle avait un sourire charmant et un petit quelque chose de touchant dans sa posture. Le rouge de ses lèvres contrastait avec le blanc de son sourire.
« Hey ! »Il avait répondu en se redressant légèrement mais en conservant sa posture confortable. Ainsi assis sur le sol, ses jambes ramenées à lui pour se servir de ses cuisses comme appui pour son livre, il n’aurait cédé sa place pour rien au monde. Il avait ressenti malgré lui un petit pincement au cœur quand elle avait fait cesser sa lecture. Le sentiment était familier et était habituelle quand on le sortait du pays des mots. Il était plus grand cette fois, car ce livre avait un goût de souvenir : son père le lui lisait lorsqu’il était encore petit garçon. Il avait toujours été meilleur professeur que narrateur, mais ce moment privilégié, Alec l’avait toujours chéri jalousement. Pas même sa douce mère n’aurait pu s’interposer.
« Moi ? » Il semblait hébété.
Personne n’avait jamais eu l’idée saugrenue de la prendre en photo et encore moins pour modèle. Il y avait bien ce quelqu’un qui s’amusait toujours à le dessiner pour se moquer de lui, mais cela était bien différent.
« Comment as-tu su ? Mon rêve va enfin se réaliser alors ?! »Il ria de bon cœur avant de la prévenir :
« Okay ! Mais si le cliché ne rend pas ce que tu voulais, faudra pas venir te plaindre. Ou alors si, mais il te faudra prendre rendez-vous. J’aurais sûrement un assistant d’ici là. »C’était sa manière à lui d’accepter son offre. Il était curieux tant le cliché rendait déjà bien sur le petit écran. Elle semblait être une photographe hors-pair. Les artistes pullulaient à l’académie et c’était toujours une agréable surprise d’en rencontrer un véritable.
« Oh… ça ? Un vieux classique. J’avais besoin de retourner un peu en enfance. Ça m’arrive de temps à autres… », dit-il en soulevant la couverture pour la portée à sa vue.
« Alice’s Adventures in Wonderland. Mais tu peux m’appeler Lary. »Il lui sourit et lui présenta sa main pour sceller leur amitié naissante.
***
Contemplant ses choix récents dans les flammes du feu de camp, il n’y avait qu’une ombre qui trahissait Alec sur son visage. Il avait fait le choix d’avouer ses sentiments passés –
emphase sur le passé, n’est-ce pas ? – à Elijah, son meilleur ami d’enfance longtemps perdu puis retrouvé. Le plan avait été suivi de A à Z. Comme promis à son petit-ami musicien, Alec avait finalement consenti à rencontrer Eli’ – qu’il avait réussi à éviter avec brio – et était passé aux aveux, Elijah avait ensuite déclaré qu’il n’avait jamais vu les choses sous cet angle –
Sans blague ? – et s’était confondu en excuses car il ne partageait pas les mêmes sentiments –
c’était bien ça ? hein ?. Parfaitement orchestrée, la chute s’était ensuivie d’un atterrissage des plus douloureux. Morose, Alec avait noyé son chagrin dans l’alcool ce soir-là et s’était réveillé le lendemain avec la punition d’une migraine carabinée. Non, vraiment, la vie était merveilleuse ces derniers temps. Il ne regrettait pas une seule seconde d’avoir abandonné l’espoir d’une relation sérieuse – d’accord, il avait eu peur – et d’avoir sauté dans le premier avion pour l’Oregon qu’il avait trouvé.
Le troisième verre de la soirée fut terminé cul-sec et Alec se leva pour rejoindre le bar de fortune où il espérait en trouver un quatrième. Mais il trouva bien plus que cela ! Sa petite bouffée de bonheur à lui : Hannah. Elle déposa un baiser furtif mais agréable sur sa joue. Pas la bise à la française, ou le faux baiser poli, non. Un baiser franc et si chaleureux qu’il sentit son corps s’éveiller telle la Belle au Bois Dormant.
« Hannah ! J’savais pas que tu viendrais. Ça fait plaisir de te voir ! »Il l’enlaça chaleureusement et déposa à son tour un baiser sur sa joue droite.
« Le prends pas mal, parce qu’elle est gorgeous, mais tu dois te les cailler dans ta petite robe, nan ? Je te sers un verre ? » Il demanda finalement sans transition.