That's my cab, bitch !

Je l'ai vu arriver de loin, lui. Je l'attendais depuis un petit moment déjà. Machinalement, j'ai levé la main comme pour lui faire comprendre que c'était bien moi qui l'avais appelé, alors qu'il n'y avait personne aux alentours. Personne...sauf elle. Et je ne l'ai pas vu arriver de loin, elle...

Depuis mon retour à Arcadia Bay, j'avais pris l'habitude de marcher sur la plage entre six et sept heures, aux premières lueurs du jour. Nous n'étions pas nombreux à fouler le sable et c'était d'autant plus agréable. Se croire seul face à une immensité bleue, grise, houleuse ou calme en fonction du temps, cela m'avait manqué. Bizarre, quand on sait que je n'accordais pas plus d'importance que ça à l'environnement qui était mien pendant de nombreuses années. La faute à une liberté qu'on croit acquise alors qu'à la première merde, elle s'échappe d'entre vos doigts aussi facilement qu'une plume. Mais là, tout de suite, c'est mon taxi qui risque de se faire la malle parce qu'une opportuniste pense pouvoir profiter d'une demi-seconde d'inattention et se tirer sans que je fasse quoique ce soit pour l'en empêcher. Elle a déjà donné l'adresse au chauffeur quand je m'installe à côté d'elle. Son regard ne laisse place à aucun doute : je n'ai rien à foutre là. Putain de sans gêne !

" Si encore, t'avais essayé la manière douce... Mais non, tu rentres, comme ça, normal. Comme si la Providence t'avait envoyé ce taxi parce qu'elle sentait que tu en avais vraiment besoin, là, maintenant, tout de suite... " Je me tourne vers le chauffeur et annonce. " Campus
Blackwell, s'il vous plait. Inutile de faire un détour par...c'était quoi, la destination ? ", demandai-je à la jeune femme assise à ma
gauche. " Oh, on s'en tape ! ", ajoutai-je avant qu'elle ne réponde, si elle avait l'intention de répondre. " Soit tu fais la course avec moi et tu reprends un véhicule depuis Blackwell, soit tu bouges et t'attends le prochain. Décide-toi... "

La sympathie même ! J'aurais pû jouer les hypocrites ou les gentlemen, j'ai préféré la valeur sûre : l'enfoiré. N'importe qui d'extérieur à la scène m'aurait probablement jugé de la sorte, en tous cas. Mais ayez tous les éléments avant de tirer des conclusions, bande de gnomes ! C'est moi qui me gèle les miches depuis une demi heure en attendant ce taxi ! Moi qui l'ai commandé ! Moi qui me suis fait griller la place par une gonzesse qui a l'air tout sauf désolé. Et la galanterie dans tout ça ? Elle n'existe plus depuis la parité sur tout alors ne venez pas me faire la leçon, pigé ? Ou on redistribue les rôles comme en cinquante et Madame n'aurait même pas le droit de se promener seule à une heure aussi matinale.

" T'étais bien plus pressée y'a cinq minutes, en montant dans cette bagnole. Il te faut une invitation spéciale peut-être ? ", renchéris-je.

Enfoirée. Parité oblige !

Cette soirée avait été nulle. Pire que tout, un enfer. Tu avais eu le malheur de venir en bottines à talons, en robe à bretelles et sans collants, car il avait fait chaud toute la journée. Jusqu'à ce qu'il se mette à faire froid. Le froid hivernal de décembre. Saleté de temps. Tu t'es retrouvée à une soirée organisée par un membre du Vortex Club et clairement, il ne savait pas mettre l'ambiance. Il savait seulement faire monter le taux de gêne à son summum. Tu ne voulais même plus en entendre parler. Quoi qu'il en soit, tu avais du rester tenir compagnie à Courtney qui avait trop bu et avait vomi puis s'était endormie. Elle était repartie chez elle ensuite, me laissant seule à la soirée. Oui, car tu n'avais pas été là quand elle s'était fait la malle ! Enfin, au moins elle était rentrée. Les cheveux un peu décoiffés, et le mascara qui commençait à te noircir un peu le contour des yeux, tu t'étais retrouvée seule à marcher dans la rue. La route allait être longue jusqu'à Blackwell, et tu avais retiré tes bottines pour marcher sur le trottoir. Il faisait terriblement froid, et les bus passaient sans doutes bientôt, mais... monter dans un bus, ça craint quand même pas mal. Puis c'est là que tu le vis. Le taxi s'est arrêté à ta hauteur, et tu es instinctivement montée dedans.

« Direction Blackwell s'il vous plait ! »

Tu te poses dans ton siège et remet tes chaussures lorsque tu vois un type entrer en furie dans le taxi. AGRESSION ! Puis là il se met à débiter, furieux et demande la même direction que moi. Putain, tu en avais bien de la chance... oui, en fait tu en avais sacrément bien ! Hors de question de quitter ta place.

« Oui, c'est un peu ça en fait. Je vais au même endroit, je bouge pas d'ici. »

Puis le taxi se mit en route. Tu tournes la tête vers le type, et hausse les sourcils en le regardant, toujours en colère, visiblement.

« Je paierai ma part de la course, fais pas cette tête hein. Je voudrais pas te devoir quelque chose non plus. »

P.S:

J'ai l'air d'un con ? Je suis un con ? Pas qu'un peu, on dirait ! A gâcher du temps et de l'énergie en espérant provoquer la confusion, le désarroi, l'agacement ou la colère...mais rien. Que dalle ! C'est à peine si elle a battu des cils lorsque je l'ai incitée à prendre la parole. Mademoiselle Chanceuse m'a mis une soufflante et je ne suis pas sûr qu'elle s'en soit rendue compte. Manque de bol, nous sommes trois dans ce taxi et je sens le regard du chauffeur dans le rétro qui s'amuse de la situation. Lui n'en a pas perdu une miette et je suis certain qu'il se dit je n'ai que ce que je mérite, à agresser de la sorte cette charmante créature. Profiteuse plus que charmante, ouais !

" Ta part et une commission pour la réservation. Sans mon appel à la compagnie, tu serais encore dehors à poireauter pendant je ne sais combien de temps alors...trente pour cent de plus et on sera quitte. "

Je ne saurais dire le nombre exact de kilomètres qui nous séparaient de Blackwell, mais le compteur affichait déjà dix dollars et nous venions à peine de prendre la route. En fonction de son parcours et du trafic, la somme allait grimper assez rapidement et ce n'était pas pour me déplaire. Pourquoi ? Parce que j'estimais qu'elle devait payer pour le préjudice causé, d'une manière ou d'une autre. Et puisqu'elle n'avait pas l'intention de m'être redevable, autant la faire débourser.

" Il faut vraiment être inconsciente pour se balader comme ça à cette période de l'année. ", dis-je en la regardant remettre ses chaussures. " Non seulement je t'épargne d'attraper la mort, mais aussi et surtout de te faire attraper par un malade... La facture vient de prendre quinze pour cent de plus du coup ! ", ajoutai-je en souriant. " Et je ne prends que du cash. "

Et là, toujours pas perturbée la demoiselle ? Elle pouvait prétendre, être une bonne actrice et feindre l'indifférence jusqu'à ce que nous arrivions à bon port. Elle se précipiterait alors hors du taxi et filerait à toute blinde en espérant ne plus jamais croiser ma route. Ou...manifester son mécontentement tout de suite, me faire comprendre que j'abuse et animer davantage l'habitacle, pour le plus grand plaisir de ses occupants. Ou...sortir des écouteurs pour les enfoncer dans ses oreilles et me snober ainsi tout le long du trajet. Tellement de possibilités et si peu d'indices quant à ce qu'allait être la réalité. J'étais presque impatient de connaître la suite !



Spoiler:

Ah carrément. Tu l'aurais trouvé autrement le moyen de rejoindre le campussi tu y avais été obligée. Un prix pour la réservation ? Trente pour cent en plus ? Il voulait vraiment te faire payer ce que tu avais fait, ce que tout le monde aurait naturellement fait. Un taxi s'arrête devant toi. C'est le destin, rien d'autre. Bon, il semblait croire que tu étais riche aussi sans doutes, ce qui était loin d'être le cas. On allait éviter le sujet alors. Tu vis alors le compteur du taxi, et tournas la tête en faisant de gros yeux, indignée. On venait à peine de rentrer ! Quel petit con le chauffeur. Déjà que le type à côté de toi était bien parti pour te dépouiller... Puis il parla de ta tenue. En quoi ça le regardait ?

« J'étais à une soirée qui s'est finie tard. Très tard, certes. Il faisait bon hier, et j'ai oublié mon manteau chez... en fait, ça ne te regarde pas. Tu ne dois pas te soucier autant du sort des femmes qui remplissent les besoins des hommes tard dans la nuit. Surtout que tu dis ça uniquement pour me faire payer plus. Ne rêve pas trop. »

Il avait raison en fait, mais tu n'allais quand même pas lui dire et le remercier... Il ne fallait pas déconner non plus. Lorsqu'il rajouta ne prendre que du cash, tu vis le taxi sourire, et tu te tournas vers ton interlocuteur.

« C'est dommage tiens, ça aurait au moins pu me réchauffer, puisque tu t'inquiète de mon bien-être ! Quoi que ça vaut mieux, puisque tu parlais de malade qui pouvait me tomber dessus. »

Douce ironie, bien-sûr. C'est en voyant la route et le paysage à travers la fenêtre près du garçon, que tu te rendis compte que le taxi prenait un autre chemin, sans doutes plus long. Sérieusement ? Tu t'enfonça un peu dans ton siège en te réchauffant les bras et les jambes avec tes mains, puis regarda de nouveau ton voisin de taxi.

« Tu faisais quoi dehors toi ? »

C'était tellement fort que je n'ai pas pû me retenir de rire. Un éclat qui envahit l'habitacle et sonnait aussi vrai que le cul de Kim Kardashian ! Cette nana avait du tempérament et une pointe de naïveté qui était presque agréable. Commencer par me raconter sa soirée avant de se raviser parce que..? Oh, bien sûr, parce que je m'en foutais royalement, qu'elle ne me devait rien, qu'il n'y avait aucune raison de me tenir au jus. Même si ses amis craignaient grave pour l'avoir laissée sortir seule ainsi.

Mes sourcils se haussèrent quand elle évoqua les femmes qui remplissent les besoins des hommes. Tard dans la nuit. Attends...t'insinues quoi, au juste ? Que t'es une poule de luxe, c'est ça ? Et que j'ai bien envie de payer tes services ? D'abord je rêve, ensuite c'est dommage, enfin c'est peut-être moi le malade...Mademoiselle Paradoxe Ambulant avait non seulement la langue bien pendue mais aussi et surtout des idées qui partaient dans tous les sens ! Difficile de la suivre.

" Je dois m'abstenir de poser des questions tout en acceptant de répondre aux tiennes ? C'est quoi ce régime tyrannique ?! ", ajoutai-je, l'air scandalisé. " Enfile-ça au lieu de jouer les dures... ", dis-je en retirant ma veste pour la lui passer. " Et ne te plains pas si ça sent l'homme : j'ai commencé à marcher sur la plage il y a un peu plus d'une heure maintenant. Rituel de retour, si on peut dire... "

Je balançai l'info comme ça, par envie. Je ne sais pas pourquoi alors n'en faites pas toute une histoire, ok ? Je suis un soufflé au fromage qui gonfle et redescend aussi vite, c'est comme ça. Mais si vous croyez que je vais oublier l'affront pour autant, vous vous mettez le genou dans la gorge (visualisez bien parce que c'est des barres !) !

" Tu dis toujours une chose et son contraire juste après ? Comme si tu pensais à voix haute, c'est pas très fute-fute ! N'importe qui pourrait utiliser tes paroles contre toi alors fais attention. Mais j'dis ça...tu vas encore me répliquer de me mêler de mes affaires, pas vrai ? "

Et je lève les yeux au ciel en signe de désapprobation totale avec moi même. Tu t'es pris pour qui, son ange salvateur ? Alors voilà, tu trouves une âme en peine, tu l'insultes et ensuite tu t'attendris...t'es vraiment un gars trop sensible, Trent !

Non mais c'était quoi ce rire ? Je fixais un instant le taximan dans le rétroviseur en ouvrant de grands yeux, et je le vis rire aussi. Il ne roulait pas vite, ce petit con. Je me mis alors moi-même à rire à sa réponse/question. Régime tyrannique ? C'était assez comique à entendre. Je ne pus me retenir de sourire en retenant un rire. Puis il me donna sa veste, qui en effet, sentait l'homme... mais je ne fis pas la difficile et je l'enfilais, prenant quand même un moment pour faire genre je n'en avais pas besoin.

« C'est le genre de régime que j'aime employer avec les inconnus... merci pour le prêt qui sent l'homme, d'ailleurs. Tu dois avoir un peu chaud toi du coup. »

L'allusion au soufflé au fromage me fit envie, car j'avais le ventre vide. Je rêvassais un instant, avant d'avoir la nausée. Je ne pouvais rien avaler. Anorexie oblige. Je baissais finalement les yeux, perdant tout sourire. J'entendis cependant le type me vouvoyer, et jugeai qu'il méritait au moins de me tutoyer et d'avoir mon nom. Je tournai la tête vers lui.

« Tu peux me tutoyer. C'est Taylor. Mon nom. Tu mène une double vie secrète ou tu as un nom officiel à donner toi ? En plus du soufflé au fromage... »

Il reprend la parole et je fais mine de réfléchir, avant de plisser les yeux en me demandant déjà ce que j'avais bien pu dire...

« Pour le savoir, il faudra qu'on se revoit, j'imagine. Impossible à savoir sinon. »

Finalement, ce type qui semblait être un con total ne l'est pas vraiment. Ou un peu. Ou autre, un mix peut-être d'un type sympa et d'un con. Je n'étais pas parfaite non plus, prise entre mon côté garce et mon côté sensible et gentil, assez caché selon mes humeurs et les gens à qui je faisais face.

« Tu es étudiant ou tu travailles sur le campus ? Comme tu t'y rends aussi. »

Le taxi freine subitement, quand un papy à poil passe devant la voiture, au milieu de la route.