Ponder your little big mistakes, and the difference they would make
Ian n'aura jamais connu son père. Mais pendant longtemps ça ne l'avait jamais vraiment dérangé. On ne peut pas se languir de quelque chose que l'on n'a jamais eu, car on ne se rend pas réellement compte de son absence.
Il lui restait cependant sa mère, Mary. Jeune et toujours occupée. Elle n'avait que seize ans de plus que son fils, peut-être auraient-ils pu bien s'entendre s'ils n'étaient pas de la même famille. Aigrie par la vie qu'elle n'avait pu avoir, elle n'avait jamais vraiment le temps pour son enfant. Voulait-elle véritablement en avoir ? Aussi loin qu'Ian puisse s'en souvenir, elle avait toujours été serveuse et plongeuse dans un restaurant près du port. Un petit boulot misérable pour un salaire tout aussi médiocre. Salaire minimum ? Connaît pas. Mais salaire suffisant pour s'acheter de quoi noyer sa douleur, sa lassitude, son ennui.
Il vient des moment pendant lesquels Ian peut se demander comment aurait été sa vie s'il était né dans une vraie famille. Quand il était adolescent, il détestait sa mère, qui n'avait pu lui donner une vie normale. Il détestait à peu près le monde entier pendant son adolescence, sauf sa grand-mère Abigail. Vieille, si calme, si douce, elle laissait les années couler le long des rides qui entaillaient son visage. Son esprit avait toujours été un peu ailleurs, mais il vagabondait de plus en plus loin avec les années. Parfois elle oubliait comment son petit-fils s'appelait, parfois elle retournait droit en enfance. Et de plus en plus souvent, elle n'était plus elle-même. Si bien qu'elle avait dû retourner vivre avec sa fille et son petit-fils. Ce qui arrangeait bien Mary puisqu'elle n'avait plus à s'inquiéter à l'idée de laisser son fils (de cinq ans, à l'époque) seul à la maison.
La famille Brown se trouvait donc à vivre à trois dans cette petite maison près de la forêt. Mary avait des frères et des sœurs qui auraient pu s'occuper d'Abigail, mais ils avaient quitté Arcadia Bay depuis bien des années, et aucun d'entre eux ne donnait de nouvelles depuis.
Alors, que fit Ian de ce cadre familial chancelant ?
Pas grand chose. Il n'y avait pas grand chose à faire.
L'école, le collège, le lycée. Des notes pas incroyables, Ian n'était pas plus intelligent qu'un autre. Des amis qui vont et qui viennent, mais qui jamais ne viennent jusque chez lui, parce qu'il a honte, Ian. Il est pauvre, il vit dans un taudis humide, il doit s'occuper de sa grand-mère sénile.
Ce fut déjà une grosse surprise qu'Ian aille jusqu'à terminer le lycée, quand on sait à quel point sa famille se retrouvait sans le sou. Mais il n'ira pas plus loin que l'enseignement secondaire. La fac, ça coûte beaucoup trop cher, et avec une famille comme la sienne, jamais on ne lui accordera un prêt étudiant. Avec des notes comme les siennes, on ne lui donnera pas non plus de bourse.
Voilà donc Ian qui cherche un travail à plein temps, pour changer de son boulot de videur de poisson lorsqu'il était au lycée.
Certains diront qu'Ian a réussi a trouver le meilleur de deux mondes. Il travaille, avec un salaire et tout le tralala, et reste en contact avec tous ses amis de lycée qui sont aujourd'hui à Blackwell. Non, Ian n'a pas réussi à continuer ses études malgré tout, il est simplement agent d'entretien. Dans ces mêmes couloirs que traversent ses anciens camarades de classe. Privilégiés, favorisés, qui auront un avenir bien plus brillant que le sien.
Ian, lui, préférera même pas en parler, il se voit tout bonnement mort de honte.
Alors, comme seul exutoire après une dure journée de travail, il n'y a qu'une balade dans la forêt qui peut le calmer. Il se retrouve dans un coin reculé, seul et tranquille. Il craque une allumette et met le feu à un déchet qu'il aura trouvé là.
Regarder les flammes danser, c'est une addiction qu'Ian s'est découverte adolescent. Y jeter ce qu'il déteste, c'est sa manière de supporter la vie qu'on lui a donné.