Everybody cares until they don’t !
La tête posée contre la vitre arrière de la voiture elle regardait le paysage défiler le long de la route, sa peau légèrement caressée par le soleil et la brise qui s’engouffrait dans l’habitacle qui venait lui chatouiller les narines – l’odeur agréable et fraiche de la forêt après une averse – tout était bien. Une vieille chanson d’country passait à la radio et elle s’entendait en marmonner les paroles machinalement comme si elle les connaissait par cœur. Un léger sourire venait alors étirer ses lèvres roses tandis qu’elle hochait la tête au rythme de la musique. Elle se prenait à s’perdre dans ce monde qui s’échappait dans le rétroviseur avec cette impression de légèreté et de douceur. Chloé se sentait bien, elle se sentait libre comme lorsque l’on se sait dans un rêve mais qu’on garde nos yeux clos pour le prolonger pour quelques précieux instants de plus dans le monde de notre imagination. Une part d’elle savait qu’il ne s’agissait que d’un rêve mais elle s’y raccrochait de tout son cœur. Un nouveau regard dans l’rétroviseur et elle le savait, elle croiserait son regard, elle verrait à nouveau son regard bienveillant.
« Papa… » qu’elle murmurait avec un certain soulagement
« Tu rêves encore Chloé. » qu’il répondait avec un doux sourire aux lèvres avant de reprendre
« Tout ira bien. » pourtant elle savait que plus rien n’irait bien, elle en avait la certitude, dès l’instant où elle ouvrirait les yeux ; elle retrouverait cette même réalité de merde qui était son quotidien.
« C’est faux, c’est faux… » s’entendait-elle murmurer tournant la tête vers la gauche tout en sachant ce qui arriverait. Comme une répétition parfaite, comme une habitude, c’était le même camion qui arrivait sur la gauche et venait emboutir la voiture. Chloé ne savait que ce qu’on avait bien voulu lui raconter à l’époque : un conducteur fou ou inconscient était venu percuter la voiture de son père de plein fouet côté conducteur. Elle n’était pas dans le véhicule mais pourtant à chaque fois qu’elle se trouvait avec lui dans ce rêve, elle pouvait sentir la tôle se tordre sous l’choc, sa tête venait percuter l’côté droit de l’habitacle et comme si victime du choc elle perdait connaissance, elle ouvrait les yeux et se trouvait alors dans la pénombre de sa chambre. Chloé serrait entre ses doigts le drap de lit, crispée ; elle pouvait sentir le sang venir battre dans ses tempes au rythme erratique de son cœur s’agitant dans sa poitrine. Son corps encore lourd était douloureux et elle sentait la sueur emprisonner contre elle son pyjama, sensation terriblement désagréable. Elle ouvrait alors ses grands yeux bleus sur l’obscurité de sa chambre, sur ses joues encore humides les larmes qui s’étaient échappées de ses yeux. Chloé aurait aimé pouvoir s’murmurer d’une voix rassurant qu’il ne s’agissait là que d’un vulgaire cauchemar, qu’il ne lui suffirait que de traverser le couloir pour trouver son père endormi contre sa mère mais c’était faux. Elle ne traversait plus ce couloir parce qu’elle savait qu’à présent un autre homme avait pris la place de son père et cette simple pensée provoquait une nouvelle vague de douleur. Le genre de douleur qu’elle était bien incapable d’exprimer avec des mots alors elle s’contentait d’rouler sur le côté et d’attraper le joint déjà entamé dans son cendrier. Step-douche péterait probablement un plomb dès le matin mais tant pis, elle en avait besoin, elle voulait endormir la douleur qui venait agiter son palpitant et lui polluer l’esprit. Juste le bruit du briquet et puis un nuage de fumée s’échappant de ses lèvres, Chloé observait alors sa chambre dans la pénombre avant que l’aube ne vienne définitivement chasser ce moment. Elle regardait tous les souvenirs de ses dix-neuf années passées.
Son joint toujours aux lèvres elle avait repoussé les couvertures puis, elle avait posé un premier pied au sol prenant à nouveau racine dans sa réalité. Son regard fuyant d’une photo à une autre, les souvenirs venant la percuter comme une pluie de météores. Elle s’était finalement levée tournoyant sur elle-même se laissant enivrer par l’effet rapide et efficace qui venait l’alléger, l’anesthésier quelques heures de ses démons. Chloé s’approchait d’un mur sur lequel figurait plusieurs polaroïds, une photo d’elle et Maxine déguisées en pirate
« Yaarr… » qu’elle s’entendait murmurer alors qu’elle tournait le dos à son ancienne meilleure amie se dirigeant vers sa garde-robe pour en tirer un t-shirt noir sur lequel figurait un corbeau et un jean qui avait déjà fait son temps en témoignaient les divers trous d’cigarettes et déchirures. Elle n’était pas vraiment du genre à se lever tôt l’matin à l’exception de ces nuits où elle se retrouvait à nouveau dans la voiture de son père. Toussotement, elle entendait déjà du bruit venant de la chambre de sa mère – David ne tarderait pas à se lever et à venir l’emmerder, il valait probablement mieux ne pas être dans les parages. Apèrs avoir enfilée ses chaussures, elle avait ouvert la fenêtre de sa chambre se glissant dans la lumière de l’aube pour rejoindre son brin de liberté. Sa voiture, un vieux pick up qu’elle avait réparé l’attendait devant la maison. Ses doigts sur le tableau d’bord elle chipotait le bouton de la radio à la recherche d’une chanson sans trop savoir laquelle.
« I cry sometimes walking around my own place, wondering why she cries sometimes, talking about her own place, somewhere around the mountains, no one could dry her foutain, till she got tired to complain… » le moteur de la voiture, elle desserrait le frein à main et elle était partie. Elle n’avait pas la moindre idée d’où elle allait et c’était probablement ce qui lui plaisait, elle n’avait après tout nulle part où aller. Depuis que Rache avait foutu l’camp sa vie était redevenue cette suite monotone, ce monde bicolore qu’elle traversait en attendant, en attendant quoi, elle l’ignorait. La seule chose qu’elle avait prévu à vrai dire, c’était de s’introduire dans son ancien bahut et d’faire chanter ce sale con de Nathan, elle avait besoin d’argent et il en avait alors le deal lui semblait parfait. C’était étrange de traverser ses journées ainsi à se demander ce qu’était devenue Rachel, ça lui faisait foutrement mal au cœur. Elle n’arrivait pas à réaliser qu’elle ait osé se tirer sans elle malgré leur promesse mais à vrai dire elle n’savait pas pourquoi elle s’en étonnait. Après tout, Rachel lui avait bien dit qu’un jour elle se tirerait sans crier gare mais ça, ça c’était avant. Avant qu’elles ne soient Rachel et Chloé, avant qu’elles ne deviennent meilleures amies.
C’était un démon d’plus sur son épaule, un tache noire de plus dans son âme déjà si sombre. Le départ et puis l’absence que celui-ci avait causé avait rendu Chloé encore bien plus pessimiste si c’était humainement possible. Elle se sentait toujours sur le point d’exploser, capable d’arracher la tête à qui que ce soit osant prononcer le moindre mot de travers. Elle avait perdu son ange, elle avait perdu un nouveau pilier de sa vie et elle n’avait pas la traître idée de ce qui restait de la Chloé innocente qu’elle avait été autrefois. Dans sa tête elle rejouait sa rencontre avec Rachel, cette fille complètement
badass qui était venue à sa rescousse, cette fille qui était plus que ce que les apparences laissaient paraître. Rachel ce n’était pas juste cette première de classe passionnée de théâtre et rêvant de voir le monde, elle était aussi teintée d’obscurité, elle avait des secrets mais elle les partageait avec Chloé ou en tout cas c’est ce qu’elle pensait. Elle s’était probablement trompée et même si une petite partie d’elle ne pouvait pas croire qu’elle se soit tiré sans elle, Chloé devait bien admettre qu’elle était à nouveau seule à Arcadia Bay – quelle ville de merde. Toute sa vie elle l’avait passée dans ce bled paumé au milieu de nulle part, elle allait mourir dans cet enfer de solitude et ça, ça la terrifiait même si elle refusait de l’admettre.
Parfois, elle repensait à Maxine, la meilleure amie de son enfance oubliée. Elle se souvenait de leur fort, de leurs chapeaux de pirate et des aventures folles qu’elles vivaient ensemble. Comme si le fait que son père lui soit arraché n’était pas suffisant il avait fallu qu’elle déménage à Seattle et qu’elle l’abandonne. Parce que c’était la réalité, le temps passant les messages s’étaient fait plus rares jusqu’au silence radio complet et Chloé était restée bien trop longtemps comme une idiote à fixer l’écran de son téléphoner pour des textos qui n’étaient jamais venus. Elle lui en avait voulu à Max d’être passée aussi simplement à autre chose mais en réalité elle était probablement un peu jalouse. Max avait réussi à se tirer de cette ville, elle découvrait le monde et elle s’était certainement fait tout un tas d’autres amies depuis le temps reléguant Chloé aux souvenirs de l’enfance.
Elle ne savait finalement plus comment se reconstruire alors elle avait tout bonnement abandonné l’idée. Sa voiture garée, elle était descendue marchant à travers les arbres jusqu’au dépôt d’ferraille où elle venait traîner avec Rachel. C’était leur endroit mais pas uniquement, beaucoup d’jeunes venaient y passer des soirées en témoignait l’feu d’camp et ses braises mourantes. Revenir ici la ramenait à la première journée qu’elle avait passée en compagnie de Rachel Amber. Elle se souvenait de l’incompréhension qui était venue la heurter de plein fouet lorsque la jeune femme l’avait repoussée, incapable elle aussi d’exprimer ses peines. Chloé s’était alors retrouvée seule avec sa batte de base-ball avant de dégommer tout ce qui se trouvait sur son passage. Ce n’était finalement rien, parce que cette journée avait scellé leur relation, elle avait trouvé son ange et à présent, elle était à nouveau seule. La jeune femme ne savait pas trop ce qu’elle foutait là si ce n’est remuer les souvenirs alors après avoir fait le tour de la décharge elle avait rebroussé chemin vers sa voiture prenant la route en direction de Blackwell.
Sa voiture arrêtée sur le parking, elle avait attrapé sur le siège passager un pille de feuille et était sortie de son véhicule. Chloé s’était alors dirigée sur le campus recollant un peu partout ses affiches sur lesquelles on pouvait voir le visage de Rachel Amber. C’était cette part de Chloé qui continuait d’espérer qu’elle ne soit pas tirée comme ça sans raison qui refaisait surface. Finalement, elle avait aperçu l’objet de sa venue – Nathan. Chloé l’avait suivi tout en gardant une certaine distance entre eux jusqu’à l’intérieur de l’école puis jusqu’aux toilettes des filles mais avant de rentrer elle s’était permis d’écouter à la porte quelques secondes – suffisamment pour savoir qu’il déraillait complètement ce qui lui assurait que ce serait le parfait moment pour le faire craquer et obtenir de lui ce qu’elle voulait : de l’argent pour se tirer d’Arcadia Bay et ce en échange de son silence. La jeune femme avait alors poussé la porte faisant son entrée dans les toilettes.
« J’espère que tu as vérifié l’périmètre comme le dirait mon con d’beau-père. » avait-elle dit en vérifiant chacune des cabines – pas de témoin.
« Maintenant parlons business. » avait-elle dit en se dirigeant comme une lionne sur sa proie.
« J’ai rien pour toi. » qu’il lui avait presque craché au visage.
« Faux, t’as plein d’argent. » qu’elle lui avait répondu du tac au tac en se glissant derrière lui trouvant dans le reflet du miroir leurs deux silhouettes. Elle voyait le regard de Nathan et elle savait à quel point il pouvait être dangereux mais elle n’avait pas grand-chose à perdre après tout et il était surtout son ticket pour se tirer.
« Ma famille, pas moi. » avait-il répondu arrachant à la jeune femme un rictus sarcastique
« Oh boo ooh pauvre fils de riche que tu es. Je sais que tu que tu refiles de la drogue à tous les gamins du coin et je suis certaine que si j’allais trouver ta si respectable famille ils me viendraient en ‘aide’. Mec j’peux voir les gros titres d’ici. » qu’elle était venue susurrer à son oreille alors qu’il agrippait le lavabo avec rage.
« Laisse-les en dehors de ça, salope. » sauf que Chloé n’avait aucune intention de s’en arrêter à ça si facilement alors elle avait repris en criant
« Je pourrais raconter à tout l’monde que Nathan Prescott n’est qu’un petit con qui supplie comme une fillette et s’parler à lui-même. » tout en lui balançant une bourrade agressive dans son bras. De nulle part, il avait sorti un flingue et l’avait pointé en direction de Chloé
« Tu n’sais pas qui j’suis putain ou avec qui tu viens foutre ta merde. » qu’il avait crié en direction de Chloé qui à présent reculait sentant les murs s’refermer sur elle, son cœur battant à tout rompre dans sa poitrine à la simple vue de l’arme
« D’où est-ce que tu sors ça ? Qu’est-ce que tu fais ? Allez, pointe ce truc ailleurs ! » qu’elle lui avait dit d’une voix tremblante et angoissée
« Ne me dis PAS ce que je dois faire. J’en ai MARRE des gens qui essayent de me contrôler ! » pourtant, elle ne voulait pas se dégonfler, elle était l’dos au mur et elle sentait dans ses côtes s’enfoncer le canon du pistolet
« Tu vas te foutre dans bien plus de merde pour ça que pour de la drogue… » qu’elle avait tenté pour le dissuader
« Y’a personne a qui tu manqueras ! » elle ne tenait plus et l’espace de quelques secondes elle réalisait qu’il avait peut-être raison et pourtant… Au moment où elle s’apprêtait à le repousser l’alarme incendie était venue résonner perturbant quelques instants Nathan et permettant à la jeune femme de s’enfuir.
Chloé s’était alors réfugiée sur le parking dans sa voiture écrasant son front sur son volant et tentant de reprendre son souffle
« Il est devenu fou putain… » elle rejouait dans son esprit les quelques minutes d’avant, le regard de Nathan, le flingue qui vient s’blottir dans le creux de son ventre et cette alarme incendie, la délivrance. Le sang battait dans tout son corps comme pour lui rappeler qu’elle était en vie et pourtant, elle s’était sentie mourir avant d’être ramenée à la vie par ce putain de bruit strident. La jeune femme avait envie de hurler, de donner des coups dans son volant de faire quoi que ce soit ayant un tant soit peu de sens mais elle restait figée, incapable de bouger. Finalement, elle avait relevé la tête apercevant à l’autre bout du parking Nathan à nouveau, elle n’avait qu’une seule envie, écraser son pied sur l’accélérateur et le faucher comme le connard qu’il était – s’il pensait qu’il manquerait à quelqu’un, pas à elle en tout cas. Pourtant, autre chose attira son attention ; c’était Max. Elle ne l’avait pas vue depuis longtemps mais aucun doute, c’était bien elle et Nathan pouvait tout aussi bien pointer son arme sur elle aussi. Sans réfléchir, elle avait démarré le pick up et elle avait volé à son secours.
« Monte, grouille-toi. » peut-être qu’elle ne la reconnaitrait pas ou pas tout de suite – tant de questions et pas assez de temps ou juste ce qu’il faut pour sauver une vie.