Start thinking anything’s possible ☆ FEAT Trevor Johnson

- Et bien voilà c'est...

Avant d'avoir pu dire « terminé », Sylvanus se retourna et réalisa que non, son installation était bien loin d'être achevée. Une pile de cartons était encore entreposée derrière le comptoir, le sol comptait d'autres caisses ouvertes mais seulement à moitié vidées de leur contenu et celui-ci était en cours d'organisation sur les étagères qui ornaient les murs.


Oui, il était raisonnable de dire que Wicc'Arcadia n'était pas encore tout à fait prête à être officiellement ouverte. Pourtant Sylvanus avait respecté son planning à la lettre, fait rare chez lui. Son retard reposait sur une erreur basique, un petit rien qui avait fini par le conduite à cette désolante situation. Il n'avait pas prévu que le local qu'il louait serait dans un état lamentable lors de son arrivée. Sa première semaine sur place avait été consacrée à des travaux de peinture, puis de bricolage pour retaper entièrement les lieux. D'un tempérament optimiste, le jeune homme se félicita rapidement de ce contre-temps qui lui permettait de donner une véritable personnalité à l'échoppe en devenir.


Ainsi la pièce principale était maintenant peinte dans des tons chauds sans que l'on puisse distinguer de véritables motifs. Le vieux parquet profitait d'une seconde jeunesse après une bonne couche de cire. Les étagères fixées aux murs étaient toutes faites mains par l'actuel locataire et n'attendaient plus que leur approvisionnement. Deux tables basses rescapées d'une brocante venaient compléter le tout, pour une ambiance chaleureuse et naturelle.


C'était donc dans de bonnes dispositions qu'il avait entrepris de vider ses cartons depuis deux jours pour installer un peu de décorations et surtout ses marchandises. Le côté gauche de la pièce était quasiment achevé, laissant voir un espace de lecture et de détente. Une des tables s'y trouvait, entourée de poufs et coussins aux motifs floraux posés à même le sol. Les ouvrages présents sur les rayonnages semblaient tout droit sortis d'un conte ou d'archives cambriolées, au choix. Sur les reliures épaisses s'étalaient des titres obscures, gravés dans le cuir ou peints en lettres d'or. A côté de ces antiquités trônait un petit tas de rouleaux cornés et à l'apparence ancienne. L'étaient-ils ? Un bon vendeur ne dévoile pas ses secrets.


Le côté opposé de la pièce était lui dans un désordre conséquent, bien que les pierres précieuses ou semi-précieuses soient déjà soigneusement sous verre et surtout sous clef. Sur la dizaine d'étagères disponibles, un peu plus de la moitié étaient déjà occupées. Des fioles et bocaux remplis de liquides, plantes, et autres composants in-identifiables paraient le mur de leurs couleurs. Celles-ci venaient se refléter sur les feuilles des plantes accrochées au plafond, ajoutant un brin de magie supplémentaire à la boutique.


L'ensemble formait une atmosphère excentrique, mais qui convenait parfaitement à Sylvanus. Ce dernier s'offrit d'ailleurs une pose pour rejoindre l'arrière de son comptoir et boire une gorgée d'un breuvage aux relents indescriptibles. D'un œil critique, le rouquin jugea son bail de location qui avait perdu une punaise et pendait lamentablement du mur. Après avoir farfouillé dans son tiroir il replaça le papier à un angle plus acceptable. Son regard s'éclaira. Définitivement mieux ainsi. Son rêve prenait vie, et il ne regrettait pas un instant ses années de vagabondage et de labeur. Wicc'Arcadia était tout ce qu'il lui fallait pour être heureux. Enfin... Quelques visiteurs seraient un bonus non négligeable évidemment.

Alors qu'il sirotait son breuvage, l'heureux gérant des lieux entendit la sonnette annoncer une venue, une visite, un potentiel client ! Replaçant sa crinière rousse en arrière et s'armant de son inimitable sourire ahuri il se tourna vers le nouvel arrivant. Hm, profil assez ordinaire mais qui sait. Peut-être que sa curiosité n'entraînerait à s'investir dans des recherches à la découverte de ce monde mystique.


- Bonjour à vous, et merci ! Son visage s'illumina face à cette présence nouvelle. Cette boutique est à l'image de ce qu'elle vend : hétéroclite. La bienvenue à Wicc'Arcadia, je suis le gérant de Wicc'Arcadia... Sylvanus Aspen Naumann. Mais vous pouvez m'appeler Sylvanus. 


La quasi certitude d'être renommé Sylvain dans les heures à suivre était là, mais après tout cela ne faisait rien. Le jeune semblait être encore un étudiant, et n'était pas un hooligan s'il en croyait ses manières plutôt poli donc guère de soucis à se faire. Ah, Sissi et sa croyance indéfectible envers le reste de l'humanité.


Posant une de ses ravissantes fesses sur le bord du comptoir, le vendeur poursuivit ses préparatifs tout en surveillant du coin de l’œil son futur client si tout se déroulait bien. Tiens, et si finalement il décalait quelques pierres pour leur laisser plus de place et les mettre plus en valeur ? D'une allure nonchalante, les mouvements de son sarouel laissant penser qu'il flottait dans l'air, il se dirigea dans la direction adéquate avant d'entendre sa question.


- Evidemment que j'ai tout cela, que cherchez-vous à obtenir comme effet ? Aphrodisiaque, suffocation, amour éperdu, repos éternel... Hm, non. D'ailleurs quel est votre nom ? Vous vous venez pour quelque chose de plus basique, je me trompe ? Suivez-moi !


Après cet ordre, il reprit la même démarche aérienne et retourna derrière son comptoir, duquel il sortit des coffrets en bois puis des bocaux hermétiques étiquettes avec ses pattes de mouche. Même lui avait du mal à se relire et fronça les sourcils pour être certain de ne pas se tromper. L’éternuement faillit simplement lui faire lâcher le précieux contenant mais il ne lui en tint pas rigueur et hocha simplement la tête d'un air grave.


- C'est bien ce qui me semblait... Vous devriez essayer une infusion au gingembre, avec un mélange de plantain et de thym. Enfin vérifiez bien que vous n'êtes allergique à rien de cela. La maison ne veut pas être tenue responsable.


Sa propre plaisanterie le fit rire aux éclats il sembla que les plantes frissonnaient aussi comme pour répondre à leur propriétaire. Décidément, l'homme méritait-il sa réputation de sorcier ? Il demeurait à voir sur la longueur. Enfin d'une nouvelle manière il tournoya sur lui-même pour lui faire face et l'entraîner vers la partie librairie.



- Il vaut mieux demander des renseignements que de se trouver stupéfait face à des réponses auxquelles on ne possède pas les question. Ces livres sont autant de questions, d'énigmes que chacun peut s'approprier. J'en ai lu la plupart, d'autres sont le fruit de mes propres réflexions. Quand aux thèmes les plus récurrents...


Il ménagea soigneusement sa pause dramatique, parfait acteur en son temps. Ne lui manquaient plus que les projecteurs.




- Tu touches ici à ce qui à trait à la magie. Je ne te parle des religions les plus rependues, pour lesquelles des sorcières ont péri. Non, entre ces pages tu pourrais trouver le courage et apprendre que celui-ci n'est pas opposé à la peur. Tu pourras également découvrir que les légendes n'en sont que parce certains ont cessé d'y croire et qu'il reste quelques erres tel que ton humble serviteur qui continuent de louer la nature, entre autres possibilité.


Soudain lassé de son petit jeu, il se mit sur la pointe des pieds pour lui tendre un ouvrage peu épais, et le lui fourrer dans les mains.




- Si tu cherches des réponses, tu n'en auras pas au début. Mais tel est le jeu si tu l'acceptes. Personne n'aura à te dicter ta voie, seul toi peut décider de ce que tu crois, et de ce pour quoi tu existes.

Malgré ses airs de grands rêveurs, Sylvanus n'était pas dénué de sens moral et son cœur contenait une bonne dose d'empathie. Aussi se sentit-il attiré par ce client particulier, et décida-t-il de se concentrer sur lui pour mieux cerner ses besoins.

- Enchanté de te voir ici Trevor... Et ne te soucies de rien, je vais trouver de quoi t'aider à surmonter ces problèmes, il faut juste que nous prenions le temps... Dis-moi, qu'étudies-tu à Blackwell jeune homme ?

Faire la conversation était une des parties que le rouquin préférait dans son nouveau métier. Apprendre à connaître le client, et à comprendre ce qu'il cherchait réellement... C'était grisant. Car son instinct le lui soufflait à l'oreille : Trevor n'était pas ici uniquement pour un rhume. Peut-être la curiosité l'avait-elle poussée à passer la porte de Wicc'Arcadia, mais quelque chose d'autre le faisait y rester.

Afin de trouver ce qui pouvait bien le tourmenter, Sylvanus se mit en scène de son mieux et le fit traverser le magasin sous prétexte de le visiter et de lui montrer plusieurs plantes différentes. Pour autant il ne se moquait pas de lui, puisque ses propositions de plantes étaient de réels conseils. En constatant que le jeune homme n'avait aucune allergie mais possédait bel et bien un certain sens de l'humour, ses yeux pétillèrent et il lui adressa un sourire mi-complice mi-diabolique.

- Penses-tu que tu t'en rendrais compte si j'essayais de t'empoisonner, Trevor ? Lui susurra-t-il avant de poursuivre nonchalamment. J'imagine que tu n'as encore jamais tenté une infusion de ce type, sinon tu ne m'aurais pas demandé mon avis... Je propose de t'en faire une tasse immédiatement, comme cela tu sauras si cela vaut la peine. Oui, faisons cela !

Comme le monde était bien fait entre ces quatre murs, il restait de l'eau chaude dans la bouilloire posée sur le comptoir. Le gérant n'eut qu'à récupérer quelques herbes et épices dans leurs bocaux et à les broyer ensemble dans un sachet. Puis il glissa celui-ci dans une tasse, avant de remplir celle-ci d'eau bouillante. Ceci terminé, il présenta l'infusion à son invité improvisé du jour.

- Sens l'odeur, si elle te semble trop forte nous rajouterons du miel pour adoucir le tout. En attendant laissons ceci refroidir et allons nous pencher sur le reste de tes demandes.

La satisfaction débordait du cœur de Sylvanus à chaque sourire apparaissant sur les lèvres de l'étudiant, et il se sentit rassuré lorsque le véritable problème de celui-ci commença à pointer le bout de son nez. Hm, oui il avait réellement bien fait de préparer une infusion.

- Je t'en prie, tutoie-moi je n'ai pas encore atteint mon premier siècle tu sais. Rit-il doucement avant de poursuivre. Ne te laisse pas duper par quelques bouquins, ou n'importe qui pourra te vendre un prétendu chef-d’œuvre, mon cher. Bien que je tire une petite fierté de ma collection personnelle, elle n'est qu'une représentation physique de ce qui doit se trouver ici. Lui fit-il savoir en tapotant son crâne dans un geste universel pour désigner son cerveau.

- Tu es donc en proies aux doutes, et j'imagine que tu es actuellement dans une situation douloureuse... Je ne prétends pas avoir quelque chose de miraculeux, mais je pense que tu trouveras déjà quelques éléments de réponse dans ce que je viens de te donner... Et dans quelques autres de mes trouvailles.

Soudainement il réalisa que le jeune homme n'aurait probablement pas les moyens de sa payer un seul des livres présents... Ou alors un de ceux qui auraient le moins d'intérêt pour lui.

- Évidemment, tu peux consulter ces titres ici. La lecture est libre, gratuite et doit être emprunte de désordre. Si tu hésites à commencer par le milieu, fais le. Suis tes instincts, et peut-être que ce jour sera celui où tu commenceras à trouver tes propres réponses.

Par honnêteté, le commerçant n'affirmait jamais pouvoir aider quelqu'un à tout résoudre, pas même le montage d'un meuble puisqu'il était bien placé pour savoir que lorsque les étoiles avaient décidé de ne pas s'aligner, personne ne les faisait changer d'avis. Pas même lui.
Le discours sur le mal de vivre de Trevor lui rappela qu'il avait sa seconde mission à accomplir, celle où il s'assurait que personne ne reparte de Wicc'Arcadia sans avoir pu vider son sac.

- Le mal de vivre dis-tu... Je pense que je dois pouvoir te trouver cela, et nous n'aurons qu'à essayer. Que dirais-tu de boire cette infusion et de discuter un peu pour que je puisse mieux t'aiguiller ? Tu pourrais me raconter ce qui te pose problème, de toutes manières rien ne sortira d'ici.

Encore une chose spécifique à ce lieu, qui fonctionnait presque comme un cabinet médical ou psychologique. Toutes les mauvaises choses y restaient enfermées, protégées par les diverses amulettes présentes sur les murs ou planquées dans les tiroirs.

- Aucun soucis pour le livre, mets le sur le comptoir pendant que l'on poursuit notre conversation. Ainsi je l'aurai à l’œil et il t'es de toutes manières réservé.

Oh, tiens, un scientifique c'était perdu dans une boutique comme la sienne. Intéressant, d'habitude ils étaient plutôt du style à écrire des articles pour critiquer l'Art qu'il pratiquait, sans même s'y être intéressé.

- Enchanté de rencontrer une petite graine de scientifique. Le salua-t-il alors sourire aux lèvres. Qu'est-ce que tu comptes faire ensuite ? Pas cloner des être conscients j'espère, je crains que le monde ne résiste pas à un second moi. Le taquina-t-il tranquillement.

Étrangement, sa précision sur l'empoisonnement fit rire l'étudiant et Sylvanus décida instantanément que c'était un bon gars. Réussir à comprendre ses plaisanteries, surtout lorsqu'elles étaient bien cachées, c'était tout un art. Et Trevor semblait sur le chemin pour le maîtriser.

- A l'odeur hein... Tu as donc un bon nez. Intéressant, si je devais mettre mes plans d'empoisonnement à exécution je trouverais donc quelque chose d'inodore. Réfléchit-il faussement en caressant son menton dénué de tout poil.

- Et c'est parti pour l'infusion ! Reprit-il de plus belle en changeant de sujet comme d'humeur visiblement.

Il vaqua ensuite à sa préparation avant d'attendre le verdict de son visiteur sur l'odeur de la décoction. Et hop un nouveau point pour lui, il n'était visiblement pas un de ces consommateurs effréné de sucre qui cachaient tout goût nouveau sous une déferlante de fausse douceur.

D'ailleurs Trevor semblait réfléchi et surtout curieux de tout, une qualité que Sylvanus savait apprécier à sa juste valeur. Tout comme les compliments bien dosés qu'il recevait à l'instant.

- Ravi de t'entendre dire que nous aurons l'occasion de parfaire ton apprentissage dans l'art de la consommation de diverses infusions. Qui sait, peut-être apprendras-tu à créer les tiennes avec le temps ? Susurra-t-il, l'air illuminé à l'idée de former un nouvel adepte. Et je te remercie, j'ai effectivement mis beaucoup de moi dans ma boutique. Je pense qu'il est important de montrer que l'on vend ce que l'on aime, et que l'on croit en cela. Voici la différence entre les véritables pratiquants et les parvenus.

Voyant l'étudiant qui allait rejoindre sa tasse, il fit de même et s'assit en tailleur sur son tabouret derrière le comptoir, tout en se penchant vers lui pour l'écouter attentivement. Ah, les histoires de femmes... C'était compliqué. Lui-même n'avait aucune prétention dans les relations affectives, il était d'ailleurs plutôt proche de la catastrophe naturelle quand il s'agissait d'interagir avec les autres généralement.

- Ce n'est pas parce que les protagonistes sont adolescents que l'histoire n'en est pas moins intéressante, ou importante Trevor. N'écoute pas ce que les adultes te disent. Enfin, les autres  adultes.

Pourquoi faire la distinction ? Oh, probablement parce qu'il ne se considérait toujours pas comme un adulte à part entière, il souhaitait conserver son coté enfantin et candide. C'était ce qui le protégeait du passé et de la douleur.

- J'ai du mal à comprendre pourquoi tu te sens aussi coupable. Ce que je veux dire par là c'est que, peut-être les as-tu blessées. Mais ce n'était pas intentionnel. Qui pouvait prévoir que ta meilleure amie allait te déclarer ses sentiments, à part elle et encore ? Et cette première fille qui est dans le doute... Sans doute le fait que tu aides ton amie l'a blessé, mais elle devrait également se poser des questions car à sa place elle aussi aurait aimé être protégée. Finalement tu as toi aussi été victime des événements, mais pourtant tu te flagelles. Et pourquoi ? Car ton cœur ne sait pas choisir, ou qu'il a déjà choisi et que la réponse est difficile ?

Sa voix s'était faite plus lente qu'à l'accoutumée, preuve qu'il réfléchissait et choisissait ses mots avec soin pour essayer d'être le plus juste possible. Mais comme toujours, il contrebalança par une réplique typiquement Sylvanusienne.

- Et ne t'excuses pas pour les microbes, un coup d'air frais et quelques sortilèges... Il n'y paraîtra plus rien.

La grimace du jeune homme fit sourire le rouquin. Ah évidemment, boire une de ses infusions ce n'était pas la même chose que de consommer les sachets tout prêts achetés dans une supérette. La qualité était nettement supérieure, notamment de par la fraîcheur des ingrédients de premier choix, que l'homme cueillait ou demandait à sa famille de lui trouver.

- Merci. Il s'agit d'une recette de famille. Répondit simplement Sylvanus à sa nouvelle connaissance. Mais je peux te donner quelques ingrédients : de la camomille, apaisante pour le corps et l'esprit. Et de la cannelle pour le goût et ses vertus . Si tu es un peu somnolent c'est normal, la camomille est souvent utilisée pour faciliter le sommeil, mais n'assomme pas comme un hypnotique.