Sur la plage abandonnée... [Avec Reith Ainsworth]

Concentré à donner un son plutôt agréable aux oreilles, Reith garda ses yeux sur ses doigts qui actionnaient doucement les cordes de sa guitare. Une fois bien accordée, les notes semblaient voleter pour se poser en douceur sur sable et tympans, mais se laissaient bien vite emporter par le vent.  Le bout de ses doigts n’étaient pas couverts, les premiers mouvements furent comme de légères brûlures, jusqu’à ce qu’ils se réchauffent progressivement. Ainsi, tout en créant sa mélodie, Reith réfléchissait. Violet ? Ce prénom lancé de cette manière ne lui disait rien. Sans doute était-elle plus jeune. Il se promit d’y faire attention, la prochaine fois. Peut-être se ressemblent-ils. Ou peut-être pas. C’est un joli prénom.

Durant ce court temps silencieux, où seulement ses doigts faisaient parler sa guitare, il réfléchissait. Qu’est-ce qu’il pouvait bien faire, ce gars là, seul sur la plage ? Il n’avait clairement pas les mêmes raisons que lui. Il se demandait aussi pourquoi il avait décidé de lui tenir compagnie. Cela était loin de déranger le guitariste qui se plaisait à jouer en présence d’un public. Et, pour être franc, la guitare – c’est cliché –, était et restera une des meilleures techniques de drague que ce monde ait connu. Reith aimait en jouer avec une pure indifférence, toutefois, il l’utilisait parfois à des fins particulièrement précises.

S’égarant dans ses pensées, il fit une fausse note.

Cela lui arracha une grimace. Grimace qui disparut sans tarder. Minois pareil…

- Ah, ça c’est certain, avec mon physique de dieu grec tu te serais souvenu de moi, ça ne s’oublie jamais… Blagua-t-il en chassant un sourire en coin prématuré de ses lèvres.

Oh, il aimait bien se moquer de son propre physique, qui était loin d’être celui d’un mec qui passe sa vie à la salle. Mais ces moqueries n’avaient par réellement lieu d’être. Il reprit la mélodie où elle s’était arrêtée, avec attention.

- Moi je suis en spé musique, du coup je fais de la musique, principalement… Après, ouais y a du dessin, de l’histoire de l’art, du théâtre, cinéma… De la photo aussi… Il réfléchit un instant, vérifiant dans sa mémoire, cherchant un potentiel oubli. Mais on nous apprend pas à foutre le feu, pour ça on doit prendre des cours en plus et acheter des briquets.

Nouvelle fausse note. Ce qui le fit râler, son rire s’évanouissant dans sa gorge. C’est pas de cette manière qu’il allait impressionner cet inconnu, qui restait malgré tout étendu dans le sable, de l’autre côté du feu.

- Putain, je suis rouillé ou quoi ? Râla-t-il.

Reith abandonna alors pour un bref ainsi sa guitare, qui resta végétative un instant contre sa cuisse. Autant éviter de casser les oreilles de la seule personne ici. Son unique public. Unique jusqu’à qu’une fille vienne briser ce court silence. Le blond regarda rapidement autour de lui, tout en ce demandant d’où elle pouvait bien venir. Apparition soudaine. C’était assez effrayant. Il prit toutefois le flyer sans broncher et regarda brièvement ce qui y était inscrit, en espérant que ça ne soit pas un truc des témoins de Jéhovah ou quelque chose dans ce style. Mais il vit la photo de l’élève disparu, Flynn. Merde.

- "Bénies" ?

Il suivit la femme des yeux, un peu surpris. Cette apparition pouvait paraître néfaste. Quoi ? On était les prochain sur la liste ou bien ? Reith frissonna de la tête au pieds quand bien même il n’était pas superstitieux. Il lâcha un rire nerveux en évitant de faire une blague un peu lourde.

- Mouais, c’est pas marrant…

Son regard était retombé sur l’image du jeune homme porté disparu. Il ne le connaissait pas si bien pour ne pas dire pas du tout. Il l’avait déjà croisé en soirée, il avait peut-être bu avec lui. Sans aller plus loin. Plus Reith y pensait, plus il se rendait compte qu’il connaissait et cataloguait beaucoup de visages. Sans les connaître réellement.

La grêle commence à tomber.

Le membre 'Tobanga' a effectué l'action suivante : Lancer de dés

---

'Le temps' :

S’il n’avait aucune expérience dans le domaine de la musique, il décela vaguement une fausse note, mais, comme pour s’assurer que c’en était bien une, il releva les yeux vers l’autre jeune homme. A en juger la grimace qui déformait ses traits, c’était bien le cas, et le plus jeune se félicita d’avoir su la repérer dans le flot d’autres sons, derrière le crépitement des flammes et les vagues qui s’écrasaient sur le sable. Il ne fit aucun commentaire, tout bonnement parce qu’il n’avait pas son mot à dire, et que le tout n’était absolument pas un massacre pour les oreilles comme il aurait pu le craindre. Il n’aurait su reconnaître une mélodie de virtuose parmi quelques accords grattés au petit bonheur la chance, et ne se prétendait pas être un quelconque critique efficace quant à la manière de jouer de Reith. Aussi se contentait-il d’apprécier sans chercher plus loin. Il eut une ombre de sourire, à peine perceptible, à la réplique du guitariste, un souffle s’échappant de ses lèvres en guise de rire. Non, ce gars-là, il n’avait pas un physique de dieu. Pourtant il avait un visage avenant, un sourire sympathique, ce qui en faisait en fin de compte un charmant jeune homme. Néanmoins, et de ce qu’il avait pu en voir dans les dernières semaines, Kyle devait sûrement avoir un penchant pour les maigrichons, ou quelque chose de ce goût-là.

-Oh, mince, pas de cours de pyromanie ? Quel dommage. Je pense que ça apporterait beaucoup à l’éducation du pays… Siffla-t-il avec un amusement perceptible, et il eut un nouveau rictus en entendant la seconde fausse note alors qu’il se redressait dans le sable : Allons, je t’intimide, ou tu prends des cours justement pour éviter ces accidents ?

Il leva les yeux au ciel, pas bien agressif, avec cette boutade qui n’en était pas une, ou pouvait l’être, lui-même ne le savait pas très bien. Il chassa méticuleusement le sable sur sa manche, surpris de voir une fille trottiner vers eux. D’où elle sortait, ce qu’elle voulait, il n’y portait pas grande intention. Il la regarda lui tendre un morceau de papier glacé, la fusilla d’une œillade irritée, et le saisit à contrecœur uniquement pour qu’elle cesse de l’importuner. Elle déblatéra une phrase qui agaça son esprit athée, à grands renforts d’âme et de bénédictions, et il entreprit de rouler en boule ce papier alors qu’elle s’éloignait déjà. Ridicule. Cela devait sans doute être encore un prospectus pour rejoindre une quelconque secte étrange. Pourtant, à voir la réaction de son camarade, il baissa les yeux sur le flyer froissé, entreprit de le déplier de mauvaise grâce pour pouvoir en lire le contenu. Une photo, là-dessus, qui titilla sa mémoire un instant.

-Encore une allumée du cerveau, bon sang, c’est quoi cette foutue ville… Marmonna-t-il entre ses dents, détaillant ce visage figé avec intérêt : Je l’avais déjà vu, ce gars. Apparemment pas longtemps avant qu’il disparaisse. C’est marrant, la vie, quand même.

Une rencontre éclair, vague, dont il ne se serait pas souvenu sans ce papier, qu’il avait déjà jeté en boule au creux du brasier qui continuait de consumer les bûches. Il avait lâché spontanément ce « marrant », presque au même instant que Reith, ce qui les opposait franchement pour la première fois. Kyle resta silencieux, un moment, se réchauffa encore un peu les moins au coin du feu. Pourquoi donc venaient-ils les importuner avec ces avis de recherche ? Ridicule. Cela ne ferait revenir personne. Il allait rouvrir la bouche, peut-être pour en reparler, ou aborder un autre sujet, mais lâcha à la place un juron sorti du fond du cœur lorsque les premiers grêlons vinrent s’abattre sur eux, sur le sable, dans le feu et l’eau de mer. Ils n’avaient peut-être pas encore la taille de balles de golf, mais s’en recevoir ainsi sans prévenir ne faisait jamais plaisir. Il glapit d’autant plus lorsque, relevant la tête pour voir à quel moment le ciel s’était couvert, il manqua de finir borgne. Il se releva en un bond vif, s’abrita derrière son bras pour se préserver un peu, et il jurait comme un charretier, à mi-voix, toutes les malédictions et insultes imaginables. Il releva son regard courroucé vers Reith, retenait couinement sur couinement alors que l’apocalypse semblait prendre de l’ampleur.

-J’crois bien qu’on devrait dégager vite fait avant de crever lapidés ! C’est quoi ce bordel, sérieusement, il faisait beau y’a même pas cinq minutes !

Vraiment, entre la fille fantôme et le ciel qui vrillait, c’était une ville qu’il haïssait de plus en plus.