Quand je me suis levée, je me suis levée lentement
Je suis née dans une petite ville de l'Idaho. Jusqu'ici, rien d'anormal. C'est un joli état, mais un peu une sorte de campagne profonde où les mentalités n'ont pas forcément évolués. J'y ai donc vécu le premier quart de ma vie avec mes parents : John, un petit épicier de quartier, et Martha, femme au foyer. J'ai reçu dès mon plus jeune âge une éducation très catholique, le genre de truc qui t'oblige à être traînée chaque dimanche matin à la messe au lieu de te laisser faire la grasse mat' et regarder les dessins-animés avec ton bol de céréales. Malgré nos maigres ressources, il était impensable pour mes parents que je ne suive pas ma scolarité dans un établissement catholique. C'est comme ceci que je me suis retrouvée en internat. Le style d'école où on t'enferme à 7 ans et tu n'en ressors pas avant tes 18 -si tu as survécu d'ici là-. Malheureusement pour moi -et mes parents-, non seulement j'étais rousse, mais en plus mon esprit était bien trop décalé pour les mœurs moyenâgeuses de la région. Pas besoin de préciser que je n'avais pas beaucoup d'amis. On me jetait des regards en coin et je me faisais traiter de sorcière. N'ayant pas la télévision, je jetais mon dévolu sur les livres, ce qui a en somme favorisé au développement de mon imagination. C'est mon esprit créatif qui m'a permis quelque part de survivre à ce quotidien monotone, me permettant de voir les choses sous un autre œil.
J'aimais au fond être différente, bien que mon macho de père avait tendance à un peu trop me rabaisser. De nature timide, tous les commentaires que l'on pouvait faire sur moi que ce soit à l'école ou à la maison ne contribuèrent pas à me rendre plus sûre de moi. Bien que réservée, j'avais malgré tout une force de caractère qui me rendait bien plus forte que je ne pouvais le penser. Je ne m'entendais pas spécialement bien avec mes parents, plus mon père que ma mère. Lui ouvrait un peu trop sa bouche, elle s'effaçait trop à mon goût. Mais lorsqu'elle décéda d'un cancer à mes 16 ans ce fut un coup dur pour moi. Un déclic dans ma tête me fit entrer en rébellion. Je sortais alors en douce de l'internat pour me rendre à des soirées où je fumais, buvais et fréquentait des garçons. C'est comme ça que j'eus mon premier rapport sexuel avec un Kevin sur un matelas dégueu d'un grenier. Mais lors de la visite médicale annuelle de l'internat, on découvrit que j'étais enceinte. Je fus naturellement expulsée et renvoyée dans mon patelin.
Depuis le décès de ma mère, mon père était plus ronchon que d'habitude et forçait un peu trop sur l'alcool. Mais à ma grande surprise, il ne me chassa pas de la maison -je découvris plus tard, un soir où il avait un peu trop bu, que c'était la dernière volonté de ma mère : qu'il continue de s'occuper de moi-. Après m'être fait avortée, je fus inscrite au lycée du coin -à défaut d'avoir les moyens de me placer dans un autre institut privé-.
Une fois mon diplôme en poche, je sentais bien que mon père n'avait qu'un seul projet pour moi : que je me marie et fonde une famille. Mais je ne rêvais que d'une chose : intégrer une prestigieuse faculté de New-York et devenir une artiste reconnue. C'est ainsi que je pris mes bagages et quitta le foyer pour vivre par mes propres moyens dans la Grosse Pomme. Mon père ne me soutint pas et rompit tout contact avec moi.
Je ne vous cache pas que la première année fut difficile. Je vivais dans le Bronx dans une misérable chambre que j'avais louée à un couple de personnes âgés et ne vivait que de petits boulots avant d'en trouver un à plein temps dans un fast-food. La chance finit par me sourire lorsque je fus admise l'année suivante dans la prestigieuse Academy of Art de New-York. Bye bye la chambre miteuse, je me retrouvais en colocation avec des camarades dans un appartement à Brooklyn où je menais la belle vie, peignant des toiles et me faisant un peu d'argent pour rembourser mon prêt. Ce fut les plus belles années de ma vie et je m'imaginais que le pire était derrière moi. Une fois diplômée, je fus engagée dans une galerie d'art contemporaine, mais continua néanmoins à peindre à côté, en rêvant de me voir un jour exposer. Bon business n'était clairement pas florissant, mais je continuais sans relâche.
Lors d'un vernissage, un magnat des affaires, passionné d'art, fut impressionné par ma culture et mes connaissances artistiques et décida alors de m'engager en tant que conseiller pour l'achat de ses tableaux. En découvrant un beau jour mes toiles, il en tomba amoureux et décida de donner un coup de pouce à ma carrière, me donnant ainsi l'opportunité que j'attendais depuis longtemps : exposer. Grâce à lui, ma première exposition fut un véritable succès et je pus vivre de mon art pendant deux ans, bien que la majorité des bénéfices finissaient dans les poches de la banque envers laquelle j'avais encore des dettes.
Si tout semblait rose au début, je devins rapidement la preuve vivante que le succès n'est qu'éphémère. Les modes et les tendances changent, je fus du jour au lendemain étiquetée comme une sorte d'
hasbeen et ma réputation d'artiste en vue chuta à celle d'artiste ratée.
"Tu n'étais tout simplement pas fait pour durer !" me sortit mon ancien mentor avant de disparaître à jamais de ma vie.
Désabusée, je finis par quitter New-York où je n'avais plus plaisir à vivre, pour retourner chez mon père, la queue entre les jambes. Grande fut ma surprise en découvrant que la maison avait été vendue et que mon géniteur était à présent en maison de repos. Mes recherches me permirent d'apprendre que sa santé fragile l'avait poussé à prendre une retraite anticipée. Malgré les relations tendues que j'avais toujours entretenues avec lui, il restait mon père et je décidai de verser en secret une pension à l'établissement, tout en le surveillant depuis Portland où je m'étais à présent établis.
Je survis en vendant de temps à autres quelques toiles et en donnant des courts privés à des gosses de riches, jusqu'à ce que je tombe un jour par hasard sur une annonce pour un poste de professeur d'arts-plastiques à l'Académie Blackwell. Qui ne tente rien à rien! Mon curriculum vitae envoyé, je fus contacté quelques temps après pour un entretien à la suite du quel je fus engagée. Bien qu'il soit possible que je doive mon travail à mon ancienne période de célébrité, me voilà aujourd'hui à Arcadia Bay, prête à reprendre ma vie en main.