Entre Teddy et moi, le cœur n’était plus à la fête. Nous ne nous étions plus adressés la parole depuis la soirée d’Halloween qui avait tourné au désastre. Je n’avais même pas surpris sa frimousse dans les couloirs de l’Académie. Il s’était comme volatilisé. Je ne me faisais pas de souci pour lui puisqu’il s’agissait clairement de sa réaction face à notre dispute. Cela n’avait rien à voir avec une quelconque maladie. Sûrement n’avait-il pas foi à faire cours et craignait que l’on se croise. Comment le lui reprocher ? Je n’étais guère mieux derrière mes sourires forcés dont j’usais presque à outrance lors de mon dernier cours de la semaine. À plusieurs reprises, je perdis le fil de mes pensées et m’emmêlais les pinceaux. Une blague bien placée et j’arrangeais le coup.
Lorsque la cloche sonna, je souhaitais un bon week-end à tout le monde et commençait à ranger mes affaires avec une lenteur inhabituelle. Rien ni personne ne m’attendait ce soir. Je ne faisais que gagner du temps. Puis, je songeais à rendre visite à Ophelia qui, d’après les rumeurs, avait décroché un poste au Croissant de Lune. Je n’étais pas contre me remplir l’estomac de sucreries. Je fus interrompu dans mon élan par un signal suivi d’une salutation. Je relevais la tête, surpris de cette « intrusion ». Je m’attendais à devoir répondre à l’un de mes étudiants mais je faisais fausse route. Tyler Wood s’avançait en direction de mon bureau, l’air incertain. Le musicien avait bien choisi son moment pour faire l’école buissonnière. Je ne voulais pas d’un nouveau drame, en particulier lorsque je n’étais pas celui lançant les dés. Malgré tout, il m’était impossible de me montrer désagréable. L’adolescent n’était clairement pas en faute pour quoique ce soit. Il s’agissait juste d’un mauvais concours de circonstances et d’une incompréhensible envie de sabotage de la part du professeur.
Je lui souris aimablement en guise de bonjour puis le laissait expliquer la raison de sa venue. Non, ce n’était pas pour débattre cinéma qu’il mettait les pieds dans ma classe. Cela aurait été trop beau. J’ignorais ce qu’il y avait à rajouter concernant les mésaventures cauchemardesques d’il y a deux jours. Mais très bien. S’il y tenait, qui étais-je pour refuser ?
- Je suis navré pour ce qui s’est passé. Même pour moi c’est plutôt… étrange.
Ce n’était pas tous les jours qu’un Gladiateur se chamaillait avec une Tortue Ninja qui plus est ! J’avais l’impression de passer ma vie à m’excuser. Déjà, je l’avais fait dans la salle de bain auparavant. Pourtant, le pire était encore à venir à ce moment-là. Je fis le tour de mon bureau pour m’asseoir face à mon interlocuteur. Je n’avais pas besoin d’un meuble comme distance de sécurité. Oui, je savais parfaitement contrôler mes hormones contrairement à ce que Teddy semblait penser. Et Tyler n’allait pas me sauter dessus non plus. Cette histoire était franchement ridicule.
- Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? Je peux te promettre de ne plus m’incruster à l’une de tes fêtes si c’est le souci. Je comprendrais vu ce qui s’est passé, dis-je d'un ton coupable.
À croire que je ne me lasserai jamais de m’excuser pour une situation où je me retrouvais tout aussi victime que lui. « Victime » étant un bien grand mot puisque pour moi il n’était pas question de fauteur de troubles, de responsable, etc. Mais vous comprenez l’idée. Pourtant, que pouvais-je faire d’autre ? Déjà, nous nous étions rendus à une soirée organisée par un de nos étudiants et, cerise sur le gâteau, nous, les enseignants, avaient foutu la zizanie tels des adolescents en pleine crise romantique et hormonale. Notre réputation en aurait pris pour son grade si Tyler n’avait pas été l’unique témoin de ce chantier mais, pour être honnête, je craignais malgré tout d’être sévèrement jugé par ce dernier. Je ne lui en voudrais pas si c’était le cas et lui lançais donc que je m’abstiendrais de me rendre à sa prochaine célébration. Si cela pouvait lui apporter un soulagement relatif c’était toujours ça de compensé… Il court-circuita ma démarche en prétextant que ce ne serait pas pour tout de suite. L’ombre qui fit une apparition éclair sur son visage m’induisit à penser que le lendemain de soirée n’avait pas dû être sans conséquences. Rien de grave j’espérais. Vu la vitesse à laquelle il enchaîna, je reçu le message à la perfection : inutile de m’aventurer là-dedans. Sujet épineux à l’horizon. J’inclinais la tête en signe de remerciement même si je comptais bien mettre mes paroles à exécution. J’éviterais dorénavant de me mélanger avec la jeunesse d’Arcadia Bay si ce n’est lors d’événements scolaires.
Cependant, je m’interrogeais. Pourquoi était-il venu si mes regrets ne l’intéressaient pas ? Mon interlocuteur ne semblait pas être le genre de type à se délecter du malaise des autres ni même à élaborer un chantage à dormir debout. Sur quelles fondations se baserait-il dans tous les cas ? Non, c’était bête. J’allais alors droit au but en le questionnant sur ses motivations sans y aller par quatre chemins. Autant crever l’abcès (en supposant qu’il y en ait un). À mon plus grand soulagement, le garçon ne se fit pas prier et s’exécuta. À l’entendre tout débiter de la sorte, n’importe qui pourrait soupçonner que son discours avait été répété devant la glace ou, en tous les cas, que cela l’avait suffisamment hanté durant ces derniers jours pour qu’il ne supporte plus de garder ça pour lui. Il se libérait de ce poids lui ayant injustement été mis sur les épaules. Tant mieux. Nerveusement, je portais l’une de mes mains à mon crâne que je grattais en dépit de l’absence de démangeaison. Dans quoi m’étais-je encore fourré ?
- Sincèrement, tu n’as rien fait de mal. Tout a juste été perçu de façon disproportionnée, l’alcool n’aidant pas. Ne te reproche rien surtout ce serait de l’énergie dépensée inutilement. Concentre-toi plutôt sur ce qui a de l’importance. Tes cours par exemple.
Bah oui, j’étais professeur à la base je vous rappelle ! Mon conseil tombait sous le sens par conséquent. Je haïssais l’idée que Tyler puisse le planter à un examen à cause de cette histoire à dormir debout. J’aurais bien ajouté une petite dose d’humour dans un cadre différent mais là… Ce n’était pas le moment propice. Je me contentais donc de garder mes distances à tous niveaux. Principe qui fut écourté par la réplique suivante prononcée par celui qui me faisait face. Sur le coup, je fus perplexe avant de comprendre où il voulait en venir. Yep. J’étais le mec qui sortait avec une tortue ninja. Au temps pour ma crédibilité en tant que figure d’autorité n’est-ce pas ? Cet enfer ne prendrait donc jamais fin ? Mon souvenir suivant me le confirma alors que je me remémorais ma dernière discussion avec Teddy. Les deux là avaient couchés ensemble à la rentrée (ce qui ne semblait apparemment pas l’aider à l’identifier sous son costume). Comment est-ce que cela avait pu m’échapper jusqu’ici ? À croire que j’avais tout ressasser à l’exception de cette révélation. Je me tendis légèrement, luttant pour que ma gêne grandissante soit la moins visible possible.
J’aurais pu lui balancer que mes histoires de cœur ne regardaient que moi et c’était le cas. Mais après toutes ces péripéties, je pouvais bien faire une entorse à la règle. Rien ne m’obligeait à en dévoiler plus que nécessaire. Savoir qu’il s’agissait de Teddy ne ferait qu’ajouter de l’huile sur le feu et j’ignorais qui de nous deux prendrait la fuite. Au moins, Wood confirmait qu’il avait bien saisi les enjeux de ce qui se jouait depuis le malentendu. J’imposais un silence, lui rappelant ce qu’il savait déjà : sa question était totalement déplacée. Je soupirais.
- « Est » ou « était ». C’est flou en ce moment. Mais tu as visé juste. Donatello est bel et bien mon petit ami.
Sympa le nom de code. Je scrutais son visage pour y percevoir la quelconque réaction à cette officialisation de mon orientation sexuelle. Allait-il s’empresser de le crier sur tous les toits avant de me préparer un coming-out du diable sur les réseaux sociaux ? Je n’avais pas à craindre qu’il soit dégoûté ou autres comportements homophobes puisque lui-même était intéressé par ceux du même sexe. Déjà ça en moins. Soyons fous, je n’avais plus qu’à lui confier que j’avais couché avec la cantinière cet été et tout serait parfait. Quelle Académie de dingues sérieux.
- Il a besoin de temps pour se remettre les idées en place. Je garde espoir pour que tout rentre dans l’ordre. Ça ne peut pas être autrement. Aussi douteuses ont été nos rencontres à Halloween, nous n’avons rien à nous reprocher. Ton rôle là-dedans est joué. Passe à autre chose.
Cet ordre n’était pas froid malgré sa formulation. Bien au contraire, c’était un encouragement. Tenterait-il de rassembler des informations supplémentaires ? Je n’en savais rien, mais je doutais être enclin à lui en fournir des complémentaires. Il manquait un élément essentiel à la compréhension de mon récit, à savoir la nuit qu’ils avaient partagés ensemble. Inutile d’en rajouter une couche.
- Quand tu seras en couple, dis-toi qu’il n’y a pas d’âge pour ce type de mélodrame. Autant t’y préparer !, concluais-je. Loin de moi l’idée de le décourager mais au moins il ne pourrait pas prétendre ne pas avoir été prévenu.
J’arrivais à voir ce que Teddy avait perçu en lui. Ok, leur relation n’avait jamais revêtu autre chose qu’un aspect superficiel mais Tyler était quelqu’un de bien tout autant que séduisant. Il avait ce petit quelque chose –une sensibilité ?- qui le rendait particulièrement lumineux. Qui plus est, je ne pouvais pas maudire mon copain d’avoir désiré passer un moment agréable avec lui alors que tous deux étaient alors célibataires.
Ven 11 Jan - 11:45
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