Mallory Farwell | Put on the red light

Si certaines personnes paraissent apprécier de faire six fois le tour du monde avant de venir s’échouer à Blackwell, ce n’est pas le cas de Mallory. Il a connu le bonheur de vivre depuis toujours dans une petite ville, non loin d’Arcadia Bay où il passait régulièrement lorsque ses parents rendaient visite à des amis, se promenaient, ou trouvaient une quelconque raison d’y faire un saut. Il n’a pas eu d’enfance à raconter des heures durant, des traumatismes ou des expériences folles. Il n’était qu’un gamin, peut-être un peu trop turbulent et exubérant, mais il ne s’est pas démarqué des autres enfants de son âge avant un bon moment. Fils unique de parents très jeunes, il était choyé et pouvait se permettre de nombreuses bêtises, qui poussaient au loin les limites de l’imagination. Mallou, de son surnom, était un garçon agité et actif, qui entretenait des relations tout aussi agitées avec ses camarades de classe, qu’il trouvait toujours beaucoup trop lents à son goût. Le verdict tomba après un temps, alors qu’il avoisinait les sept ans : il était surdoué. Ce qui fit remarquer cela à ses parents ? Peut-être sa capacité à comprendre des choses qui n’étaient pas de son âge, et sa facilité pour rouler sur les exercices qu’il devait faire après les cours. Il sauta une classe, puis deux, mais cela s’arrêta là. L’enfant qu’il était ne supportait pas de perdre ses amis à chaque fois, et de se retrouver confronté à d’autres enfants plus âgés, moins drôles par conséquent, et moins aisés à mener en bateau. De là, il décida de se contenter de la bénie moyenne de classe, jamais au-delà, avec une précision redoutable. Pourtant, à l’heure de s’orienter, il décida de donner un coup de fouet à son dossier, et connut donc une remontée fulgurante. Nul besoin de préciser que cela mit ses parents dans un état oscillant entre le ravissement et l’agacement.

Blackwell. C’était presque un choix logique que de s’orienter dans ce coin, non loin de chez lui. Dans une recherche d’indépendance, Mallory quitta ses parents pour s’installer sur le campus, quand bien même ce ne fut pas un dépaysement total. L’art et les langues ne surent faire pencher son cœur comme les sciences, aussi fut-il pris dans le cursus scientifique dans lequel il put pleinement s’épanouir. Il n’était pas rare de le voir, à cette époque, entouré d’autres mordus de physique ou de chimie, en train de mener des expériences sulfureuses dans la cour, ou démonter des appareils électriques pour des raisons aussi floues que folles. Oh, Mallou était bien apprécié, par ses camarades, et les professeurs dont certains se souvienne peut-être encore de sa trogne malicieuse en fond de classe, ou des mines qu’il faisait lorsqu’il passait au tableau sur un problème qu’il trouvait trop aisé. Mais là encore, n’est-ce pas le lot de tous les élèves de Blackwell ? Sa particularité n’est guère dans ces quelques lignes banales, basiques, d’étudiant lambda au mental un peu trop développé.

Car promenez-vous, encore aujourd’hui, dans le campus. Dans les toilettes, les vestiaires, d’autres lieux obscurs où se perdent les markers des artistes, peut se trouver la rengaine « Mallou suce pour un bisou » et toutes ses variantes plus ou moins poétiques -voyez donc cette rime riche, un Rimbaud en herbe sans doute diplômé. Etait-il harcelé ? Non. Chercha-t-il à faire enlever les graffitis ? Non plus. Tout simplement parce que c’était une forme de vérité à laquelle il n’attachait pas de valeur. Il n’a jamais ressenti une once de pudeur ou de honte à cette idée. Posez-lui donc la question : que faisait-il de ses soirées, quand il étudiait ? Il se prostituait. Il ne manquait pas vraiment d’argent, il a simplement cédé à la tentation, un beau soir. L’indépendance, vous voyez ? Il l’était, indépendant, et il a continué jusqu’à être diplômé. Quant à ceux qui étaient au courant, ils rependirent la rumeur, inscrivirent son nom en lettres indélébiles sur les murs. De même, jamais il ne chercha à la démentir, et personne ne venait lui chercher des noises. Après tout, lui parler, prononcer ces mots à voix haute devant lui qui faisait les trottoirs, n’était-ce pas admettre qu’on avait laissé traîner sa carcasse trop près, un soir, pour être au courant ?

Cela n’eut de toute manière aucune incidence sur sa capacité à décrocher son diplôme avec une aisance terrible. La fin de ses études ne marqua pas le début de sa carrière, néanmoins, car il n’avait jamais eu pour ambition de travailler en bureau, quelque part ailleurs. Il préférait les boulots plus manuels, plus sociaux, et bien évidemment différents de ce pour quoi il avait été payé si longtemps. Il n’a fait, après tout, des études que pour assurer ses arrières dans le cas où il désirerait soudain se ranger dans la belle voie des gens qu’il jugerait… Simples. En toute logique des choses, qu’a-t-il donc fait ? Il a enchaîné sur un diplôme de libraire pour reprendre une petite librairie. Sur un coup de tête, comme absolument toutes les décisions qu’il a prise dans sa vie.

Il n’a jamais quitté Arcadia Bay après ça. Ses années de trottoirs lui ont valu une belle avance salariale, terrible lorsque l’on y pense bien, ainsi qu’une réputation merveilleuse. Certaines personnes respectables détournent les yeux en le reconnaissant dans la rue. D’autres s’inquiètent de savoir qu’il pourrait les dénoncer à leurs femmes ou maris. C’est fou ce qu’il peut connaître sur les gens, tout de même… Il lui arrive encore de traîner près de Blackwell, car il n’est que récent diplômé, pour parler à d’anciens amis, ou se livrer à de nouvelles expériences scientifiques explosives avec de jeunes scientifiques en devenir.

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