Truth's Feather
Je suis né dans une famille aimante où j'étais le seul enfant. Mon père est américain pure souche et ma mère est le portrait craché de l'irlandaise typique.
Je me rappelle encore des paroles de Maman m'expliquant sa rencontre avec Papa:
"Alors, ton père était en vacances avec des amis. Il devait seulement rester un mois mais il est parti d'Irlande après un an si ce n'est plus. Et puis, après tout ce temps, moi j'ai pris l'opportunité qui se présentait pour partir avec lui. J'étais tombé folle amoureuse, lui aussi. J'ai alors dû quitter ma famille. Et toi, quelques années plus tard tu es arrivé. Tu sais Fynn, ne renonce jamais aux opportunités qui se présentent à toi."Ça semblait tellement romantique ! On aurait cru le scénario d'un film. Seulement, dans ma crédulité enfantine je ne savais pas encore ce qu'il se cachait sous cette idylle.
A mes 10 ans, nous avons quitté la côte est pour rejoindre la côte ouest. C'était le jour et la nuit, l'atmosphère y était vraiment différente. Pour autant, je n'arrivais pas à savoir ce que je préférais. Chacun avait des avantages et des inconvénients. Je m'épanouissais artistiquement et tout semblait aller pour le mieux dans ce renouveau. C'est sans compter sur un coup de tonnerre qui me frappa de plein fouet à mes 15 ans.
Un beau jour, en sortant des cours, j'ai fait un petit détour par le parc pour me poser un moment et profiter du soleil. Puis, un homme qui avait l'air majeur s'approcha de moi. Au premier abord, rien de bien alarmant, il voulait juste s'installer sur le banc où j'étais car les autres étaient déjà pris.
Seulement je ne pus absolument pas imaginer que cet homme serait en fait bien moins inconnu que je ne le croyais.
Il commença la conversation avec moi.
"Ça va bien ? Les vacances approchent, tu dois avoir hâte".
Méfiant, j'essayais d'écourter au plus vite le dialogue:
"Ouais ça va pas et exact, d'ailleurs je devrais réviser si je veux être en vacances la conscience tranquille". Je commençais alors à me lever.
Mais l'homme me pris par le bras. Ni une ni deux je m'agitais pour échapper à son étreinte tout en essayant d'appeler au secours même si mes cris s'étouffaient dans ma gorge avant même d'arriver à l'air libre.
Finalement, je réussis à m'extirper en ôtant ma veste. Avant que je me mette à courir, le jeune homme s'écria
"Fynn, attends !"Mon cerveau se perdit pendant quelques instants. Comment pouvais-t-il connaitre mon nom ? Bien qu'effrayé, j'étais trop curieux pour partir sans explication.
Je le fusillais alors du regard pour qu'il crache le morceau.
Gêné, l'homme se posa la tête dans ses mains sur le banc.
"Ecoute Fynn, on m'a demandé de ne jamais venir te voir. Mais aujourd'hui je ne peux plus vivre comme ça."Pendu à ses lèvres, attendant les mots suivants j'essayais de lui faire comprendre qu'il devait accélérer la cadence
"Ça ne me dit pas qui tu es.""Tu ne me croirais pas Fynn" dit-il désespéré.
Il est vrai que j'étais en mon droit de ne pas donner crédit à ses paroles. Il fit alors en sorte d'argumenter.
"regarde ça."Il me tendit une lettre manuscrite usée. Je pris le temps de la lire scrupuleusement avant de me liquéfier sous la stupeur. La lettre venait de mes parents. Ils disaient qu'ils étaient désolés d'avoir abandonné le jeune homme alors qu'il était enfant. Ils lui disaient ne pas avoir eu le choix. Ils étaient tous deux jeunes et n'avaient pas la possibilité de s'en occuper. Ils l'ont donc laissé sur le vieux continent avant de s'envoler vers l'Amérique comme si de rien n'était. Je ne voulais pas y croire. Comment une vie de famille si banale pouvait-elle cacher un si lourd secret ?
Je fis part de mes pensées à mon interlocuteur.
"Mais qu'est ce qui me dit que c'est bien mes parents qui ont écrit cette lettre ? Il n'y a pas qu'eux qui s'appellent comme ça."Alors, avec fébrilité, il me tendit un carnet. Sur sa couverture était écrit en lettre manuscrite
Copie du Livret de Famille assortie d'un tampon de l'administration irlandaise.
Je l'ouvris alors délicatement. Tout correspondait. Dates de naissances, noms, prénoms, lieux de naissance. Déjà fragilisé, le jeune homme me posa une question qui mit fin à mes doutes.
"Toi aussi avant de dormir Maman te chantait An leanbh druid ?"Mon monde s'écroulait. Cette chanson s'appelait
Le bébé druide et c'est ma mère qui l'avait créée afin de nous endormir tout en nous parlant irlandais et en nous apprenant la mythologie celtique. C'est donc impossible que quelqu'un d'autre connaisse cette spécificité.
Complètement écrasé par le poids la nouvelle, je bégayais comme jamais je n'avais bégayé.
"Ça ve-ve-veut di-dire q-q-q-que..."Je n'arrivais même pas à finir ma phrase mais la fin était si évidente que le jeune homme prit le relais.
"Oui Fynn, je suis ton frère."Alertés par mes pleurs et ma mine horrifiée, des passants s'arrêtèrent alors, ce qui força mon.. frère à partir pour ne pas avoir de problèmes.
Alors que je balayais du revers de la main l'aide proposée par un couple de quarantenaire, je fermais les yeux. Une fois rouverts, je vis dans l'arbre une chouette. Elle n'avait rien à faire là, il faisait jour. Mais pourtant elle me regardait, me surveillait. Puis, alors que j'essuyais mes larmes, elle s'est envolée pour se poser sur l’accoudoir juste à côté du banc avant de se mettre sur mon épaule. J'étais à la fois choqué, confus et perdu. Alors, je lui ai laissé tout le loisir d'être en ma compagnie. Puis enfin, elle se décida à s'en aller. Elle laissa alors à son point de décollage une plume qui voleta avant d'atterrir sur ma cuisse.
Je savais que tout ceci n'était pas normal et que cela devait être un signe.. Une chouette en plein jour, qui vient se poser sur moi, c'était un peu trop d'un coup.
Comme tout secret, la vérité finit par resurgir telle une onde de choc.
J'ai alors découvert un don pour le chant. C'était pour moi une manière de m'évader, faire face à l'épreuve et résorber le traumatisme que j'avais vécu. C'était aussi un moyen de me soulager car le poids de ce secret m'étouffait, m'oppressait.
Je saisis alors l'opportunité d'aller à Blackwell grâce à une bourse pour prendre de la distance et respirer un nouvel air.
Quant à mon frère, je n'ai pas eu de nouvelles depuis quelques semaines mais je sens bien qu'il m'appellera très bientôt, même si sa présence serait encore plus magique que le son de sa voix.