Mon regard était rivé sur l'horloge. La fin était proche. Je tapotais légèrement du pied, de stress ou d'impatience ? Je ne savais pas trop. Entre mes mains se trouvait une clé USB, celle qui comportait mon devoir à rendre à Monsieur Holtz. J'avais une semaine de retard, non pas parce que je n’avais pas fais mon devoir, mais parce que j’hésitais. Ce devoir s’était révélé être très personnel. Et l'idée de donner cette partie de ma vie a un simple enseignant ne me réjouissait pas tellement mais, c’était la seule inspiration que j'avais.
La sonnerie m’aida à sortir de mes pensées. Il faut dire que ce cours, je ne l'avais pas vraiment suivi. Tout comme les autres élèves, je rangea mes affaires, et me dirigea le plus rapidement possible à la sortie du cours afin de rejoindre la classe de Monsieur Holtz. C'est en me frayant un passage à travers le troupeau d’élèves que j’arrive à destination, légèrement essoufflé d'avoir couru.
- Bonjour, excusez-moi, monsieur Holtz. Dis-je entre une courte respiration. J'ai.. oublié de vous rendre mon devoir.. m'enfin, je ne le trouvais plus et puis.. voilà.
Je l'avoue, je n’ai jamais été doué pour mentir. Le plus important était que j'avais rendu mon devoir. Et puis comme on dit.. mieux vaut tard que jamais, non ?
- Vous pouvez le visionner maintenant, c'est assez court. Ça vous évitera de perdre du temps.
Tout en disant cela, je lui donna ma clé USB contenant uniquement le court-métrage. Même si il était court, j'y avais mis beaucoup de cœur. J'avais réalisé un court-métrage de 7 minutes à peu près, uniquement animé. Il n'y avait pas de parole, seulement une musique en arrière plan. Les dessins étaient assez explicatifs sur ce qui se passait dans cette histoire. C’était l'histoire d’un jeune garçon qui vivait avec sa mère et qui était à la recherche de son père, pour cela il parti à l'aventure, affronta de périples épreuves. Les monstres qu'ils affrontaient reflétaient chacun un vécu différent, les moqueries dû à l'absence de son père, les regards de pitié, et le manque affectif qu'avait le garçon. Cependant à la fin de l'histoire, le garçon comprit qu'il ne retrouvera jamais son père, et que sa seule option était d'accepter cette fatalité et abandonner sa quête périlleuse afin de retourner auprès de sa mère.
Et pendant tout le long du court-métrage, je restais tendu, j'avais du mal à regarder, fuyant le regard face à mon œuvre. J'avais ce tic à me gratter la nuque, mon malaise se faisait ressentir. De la simple timidité ?
Novembre était déjà bien entamé lorsque mes derniers étudiants de la semaine s’empressèrent de quitter la salle de cours pour débuter leur week-end tant attendu. L’énergie des deux premiers mois s’était quelque peu évaporée, la météo de moins en moins clémente ayant un impact sur le moral des troupes. En outre, les exercices devenaient de plus en plus prenants pour chaque matière et la pression de la fin de semestre augmentait d’un cran chaque semaine. À en croire les bruits de couloir du moins. Certains prenaient même du retard dans les rendus, à commencer par Ethan Olsen qui se présenta à moi tandis que je terminais de ranger mes affaires. Le garçon faisait partie des retardataires qui avaient manqué la deadline originale pour me rendre leurs travaux : un (très) court-métrage qui faisait davantage office de brouillon pour celui qu’ils auraient à me rendre en fin d’année universitaire. Celui-ci leur permettait de concrètement se familiariser avec les outils de montage, de peaufiner leurs jeux d’acteurs s’ils se mettaient en scène, mais serait aussi un accessoire extrêmement utile pour comparer leurs progrès au fil des mois à venir. Rien de tel pour conserver son objectivité. Je comptais bien achever mes visionnages ce week-end pour pouvoir établir un bilan global dès la fois suivante. Cependant, de ce que j’avais vu jusque-là, ils ne déméritaient pas comparé à la promotion précédente. J’étais toujours estomaqué par le talent de ces jeunes en plein apprentissage. Arcadia Bay finirait par devenir le temple du cinéma à ce rythme ! Bon ok, peut-être ai-je tendance à pousser le bouchon un peu trop loin mais que voulez-vous ? Tout enseignant à le droit d’être fier de ces gosses ! Quel prof-poule je fais ! Dieu !
Ainsi, je lâchais mes affaires pour écouter un Ethan à bout de souffle, peinant à retrouver sa respiration comme s’il venait de courir un marathon. J’hésitais à le réprimander avant de me souvenir qu’il n’était plus un gosse. À lui d’assumer. En général, je retirai un point lorsque le retard était équivalent à une semaine. Mais j’étais de bonne humeur ce soir. Oui, j’avais prévu un petit-repas romantique pour… Aucune raison en fait. Uniquement le plaisir. Par chance, j’avais du temps à lui consacrer malgré tout même si son excuse se révélait légèrement douteuse.
- Bonsoir Ethan ! répondis-je avec enthousiasme tout en m’emparant de la clé USB qu’il me tendait. Hum… Très bien. Je compte faire un compte-rendu global mardi prochain dans tous les cas.
Le Mac n’était pas éteint, ce ne fut qu’une question de secondes avant que je me retrouve assis sur ma chaise à lancer sa vidéo. Je l’invitais à s’asseoir s’il le souhaitait. J’avais connaissance de sa passion pour le dessin, mais j’ignorais que mon interlocuteur avait décidé de réaliser un court-métrage animé ! On ne m’avait jamais proposé cela depuis mon entrée à Blackwell l’année dernière. Il faut dire que c’était un boulot monstre ! Bien sûr, l’animation était relativement simpliste vu les moyens et le temps alloué mais ce n’en était pas moins admirable.
- Ok, je ne vais définitivement pas descendre ta note maintenant que je vois ça. Chapeau. Tu as du cran !
Et un très bon style artistique qui plus est ! Au-delà de ça, il me fallait désormais m’attarder sur le scénario qui était clairement illustré par d’innombrables métaphores plutôt simples à déchiffrer mais terriblement poignantes. À plusieurs reprises je levais brièvement mon regard dans la direction du jeune homme, examinant ses réactions. Il était comme pétrifié, redoutant mon jugement. Ce n’était pas uniquement mon avis critique qu’il redoutait. J’avais le sentiment que cela allait plus loin que ça, comme si j’étais ce sale type fourrant son nez là où ça ne le concerne pas. Sûrement était-il loin d’imaginer que je m’identifiais à sa proposition sur bien des points. J’en étais presque aussi mal à l’aise que lui. Quand cela se termina, je restais muet en instant avant d’ajouter :
- C’est gênant si je ne te rends ta clé qu’au prochain cours ? J’aimerais revoir tout ça ce week-end.
Je lui adressais un sourire aimable pour le rassurer. Non, il n’avait pas commis d’erreur monumentale qui lui vaudrait un 0 pointé ou je ne sais quelle idiotie. Selon moi, il s’était surpassé au contraire.
- J’ai le sentiment que cette œuvre t’est très personnelle je me trompe ? Si oui, je t’applaudis car ça demande énormément de courage que d’être sincère à travers son art. À mon sens, c’est ce qui différencie les réels artistes aux artistes amateurs.
Lun 11 Nov - 2:38
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Ma vie en dessin.
Le visionnage de mon court-métrage finit, un moment de silence s'installa. Le rendu était problématique ? Pourtant Holtz semblait apprécié, et il a même décidé de ne pas retirer de point pour le retard. Alors où est le problème ? Je me racla la gorge, l'écoutant couper cet instant de calme. J'acquiesça par la suite.
- Oui, si vous voulez.
J'avoue avoir eu peur au départ. Mais son sourire était rassurant sur le moment. Et puis en y réfléchissant, il fallait bien se concentrer sur le travail des élèves pour pouvoir les noter. Par la suite, son avis me perturba légèrement. C’était si voyant que cela ? Il avait l’œil, c’était le cas de le dire.
- Merci.. merci beaucoup, c'est gentil.
Tout ce qu'il me disait, ça me faisait énormément plaisir. C’était flatteur. Il ne me considérait pas comme un banal artiste mais comme un véritable artiste. Je m’étais toujours demander si cela en valait la peine de continuer le dessin, et il n'a fallut que cette phrase pour me redonner confiance en moi. Je peux le faire. J'en suis capable.
- Pour être honnête monsieur, je ne pensais pas que vous alliez le remarquer aussi facilement. Et je vous remercie encore une fois. Il faut dire que cela n'a pas été très.. facile à réaliser. M'enfin si ça l'a été à trouver les idées, cela venait même tout seul ! Mais au fur et à mesure que je dessinais, une partie de moi se posait énormément de question.
Je m'installa par la suite sur la chaise, car oui j’étais resté debout tout le long, pensant que ma visite ne durerait pas longtemps. Je colla mon dos au dossier de la chaise, mon regard en direction du sol.
- Je ne veux pas paraître comme un mec dépressif, mais, ça me fou un peu mal de vous montrer ça. Surtout si vous avez compris.
J’inspire un long moment avant de venir expirer. Passant mes mains sur ma tête, les faisant légèrement descendre de mon visage.
- Je ne sais pas si j’ai bien fais de vous montrer ça en vrai.. qu'en pensez-vous ? Dis-je en levant mes yeux vers mon interlocuteur.
Exhorter mes étudiants à repousser les limites de leur créativité et leur donner confiance était l’un des aspects de ma profession que j’aimais le plus. Ce côté plus humain, plus chaleureux d’être enseignant. Être une figure « paternelle » en quelque sorte, aide dont j’avais cruellement manqué toute ma vie. Sûrement essayais-je inconsciemment d’éviter que ces adolescents se retrouvent dans une telle situation en les encadrant avec le plus de compassion et douceur que j’étais légalement autorisé à donner. La mine quelque peu défaite d’Ethan lors du visionnage trahissait le manque de confiance en lui et un attachement à son projet qui paraissait relever bien plus de l’affectif, du personnel, qu’un simple intérêt de créateur à sa fabrication. Si je faisais fausse route, que cela ne relevait en aucun cas du biographique, alors je me serais fourvoyé et il n’aurait qu’à me contredire. Aussi simple que ça. Parfois, je me faisais des films (sans jeu de mots) et m’emballais plus que de raison. Néanmoins, sa réaction confirma mes soupçons tandis qu’il confessait ses aprioris tout en renonçant finalement à rester debout, droit comme un i. Je le regardais avec une intensité modérée pour qu’il ne le ressente pas comme une intrusion, attentif à sa prise de parole. Je restais muet, le laissant vider son sac tant qu’il en avait le courage. Rien de tel que couper la parole dans ce type d’instant pour encourager l’interlocuteur à se dégonfler. Croyez-moi, je sors avec Teddy Scott. J’y connais un rayon à force. Je sus que mon tour de réagir était arrivé lorsqu’il me posa une question que je ne pouvais esquiver.
- Disons que ce n’était que des soupçons de ma part. En général, il est complexe d’aborder un sujet aussi délicat avec tant de justesse si l’on ne l’a pas vécu soi-même. Mais j’aurais pu me tromper. Désolé de briser le mythe de l’enseignant qui n’a jamais tort, répliquais-je avec une pincée d’humour. (Comme si les étudiants nous prennent pour des Dieux irréprochables et sans faille !)
Je bougeais légèrement sur ma chaise, ajustant l’angle de ma position pour faire davantage face au garçon. Cela réduirait la distance symbolique imposée par nos statuts respectifs, pour une approche plus amicale. Il ne manquait plus qu’un peu de thé et nous serions parés pour discuter jusqu’au bout de la nuit ! Non. Mon petit-ami risquait de ne pas apprécier ça. Ni l’équipe administrative d’ailleurs. Les habitants d’Arcadia Bay ont vite-fait de se monter la tête pour des broutilles ! Mais l’important n’est pas là. Il me fallait le rassurer, instaurer un climat de confiance entre nous. Je n’allais pas crier sa relation avec son paternel sur tous les toits après tout !
- Et ne t’en fais pas. Cela reste entre nous si tu le souhaites. Je compte projeter quelques courts-métrages devant la classe mais uniquement dans un cadre de volontariat. Je ne forcerai rien, même si ton travail fait sûrement partie des meilleurs qu’il m’ait été donné de voir jusqu’ici.
Je lui adressais un second sourire, croisant les doigts pour que cela serait suffisant. Il ne manquait plus qu’il ne dorme pas du week-end sous peur de retrouver sa vie jetée indifféremment sur les réseaux sociaux !
- Je ne te juge pas. Ce n’est pas ma place et je suis clairement très mal placé pour ça. Cela dépasse clairement la limite professeur/étudiant mais je n’ai pas une relation des plus épanouie avec mon père, avouais-je en adoptant un ton neutre. Tout ça pour dire que tu n’as pas de regret à avoir. Tu ne seras pas traité différemment ou… Je n’en sais rien. Vu avec de la pitié ? C’est ça qui te fait peur ? En faisant preuve de culot et de sincérité, tout ce que tu as gagné c’est une bonne note et une oreille à l’écoute au besoin. Plutôt un bon deal non ?
Pour éviter que tout cela ne vire trop dans le mélodramatique, je tendis ma main, amusé. Une sorte de pacte que nous seuls connaîtrions s’il ne le révélait pas par lui-même.
Dim 24 Nov - 22:02
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Ma vie en dessin.
Et au final, il s’avérait que ce n’était qu'une déduction. Holtz n'en avait pas la moindre idée, j'avais seulement fais confirmer ses suppositions. Merde, était-ce une bonne idée de lui avoir dit que oui au final ? Ça y est, je regrettais déjà le fait de m’être confié. Même si il me disait de ne pas m'en faire et que cela resterai entre nous, j'avais un peu peur. J'avais eu trop de facilité de parlé de ce qui n'allait pas. Étais-je si désespéré que ça ? Sûrement. En tout cas, concernant les courts-métrages, j'avais le choix d'accepter de le visionner en cours ou non. Et concernant son compliment sur son travail, je ne sais pourquoi mais cela m'avait fait esquisser un sourire. Je ne dis jamais non pour un compliment.
Par la suite, je redressa correctement le haut de mon corps, l'écoutant poursuivre. Visiblement, je n’étais pas le seul dans cette situation. Je ne savais pas exactement ce qu'il avait vécu avec son père mais il semblait ne pas en parler plus que ça. Sûrement en avait-il parlé brièvement afin de me mettre plus en confiance ? Et bien ça avait marché. Vienne ensuite ses phrases qui m’apaisaient. Pas de pitié ou autre, juste une personne qui accepte de m’écouter, chose dont tout le monde a besoin. Je vis par la suite sa main tendu vers moi et il ne m'a pas fallu longtemps avant de la serrer. Je lui esquissa un sourire, jamais je ne m’étais senti aussi bien.
- Merci beaucoup.. c'est la seule chose que je voulais, au fond.
Suite à cela, je me releva de ma chaise. Le devoir étant rendu, et, sachant que j'ai un professeur qui m'est à l’écoute me suffisait pour finir cette journée. Et puis, je n'allais pas le retenir encore trop longtemps de sa journée, après tout c’était le week-end. Je replaça correctement mon sac sur mon dos
- Je n'oublierai pas cet échange. Merci beaucoup de m'avoir écouté, je pense.. que je reviendrai vous voir, si vous êtes d'accord bien entendu ?
Mon téléphone vibre, curieux je le sors de suite. C’était ma mère qui me demandait de faire quelques courses avant de rentrer à la maison. Je lui envoie rapidement un message pour lui dire que j'y avais avant de ranger mon téléphone dans ma poche. Je me place devant la porte de sortie de la salle de cours et salue mon professeur.
