this ain't a song for the broken-hearted
Remettre les pieds à Blackwell n'avait pas été une sinécure pour Riley. La jeune femme n'avait pas gardé que de bons souvenirs de l'établissement, loin de là. Tout comme au sein de bien d'autres écoles, Riley n'avait pas su s'intégrer à l'Académie durant son adolescence...
Elle y avait pourtant été acceptée avec les honneurs. Ses résultats brillants lui assuraient un dossier remarquable et elle avait été une élève exemplaire. Mais Riley avait toujours été un peu différente. Un peu trop bizarre pour trouver sa place auprès de ses camarades...
Il y avait d'abord son obsession pour la lecture, une passion dévorante qui la coupait des autres. Riley avait appris à lire avant l'heure, en autodidacte. Les mots avaient vite fait sens pour la petite fille, qui s'était vite lassée des livres d'enfants pour se tourner vers des lectures plus adultes.
Les aventures qu'elle vivait en lisant lui permettaient de supporter son quotidien. Ses parents qui n'arrivaient pas à établir un lien avec elle. Les autres enfants qui la mettaient également à l'écart et la fuyaient ou se moquaient lorsqu'elle tentait d'aller à leur rencontre. Cette sensation permanente et désagréable d'appartenir à un autre monde et d'être née sur cette planète par erreur.
Il y avait aussi son attitude. Riley ne s'amusait pas de ce qui distrayait les fillettes de son âge. Les poupées la faisaient grimacer d'ennui et elle ne trouvait pas d'intérêt à discuter de vêtements, de chanteurs mignons ou d'autres sujets qui semblaient tant passionner ses semblables. Riley préférait mille fois parler d'un bon livre, courir jusqu'à l'épuisement ou grimper aux arbres pour observer le monde d'en haut.
Tout cela la plongeait dans une solitude forcée, de laquelle elle avait appris tant bien que mal à s'accommoder. Parfois, elle rêvait d'une amitié comme celles qui existaient dans ses livres, mais elle n'avait pas d'autre choix que d'accepter que cela ne lui était pas destinée. Riley était seule. Mais elle était relativement tranquille. Jusqu'à ce que les troubles de l'adolescence ne la guettent...
Comme si un Dieu quelque part avait décidé qu'elle n'était pas assez ostracisée, Riley avait doucement compris que son coeur ne battait pas pour les garçons.
Que les longs cheveux noirs agités par le vent de ses camarades captaient bien plus son attention que le torse nu d'un représentant du genre masculin. Que le parfum de la déléguée de classe lui faisait tourner la tête. Qu'elle rougissait malgré elle dans les vestiaires de sport, se découvrant des sensations qu'elle n'avait jamais éprouvé jusqu'alors.
Riley était plus à l'aise avec les adultes qu'avec ses camarades de classe. Peu complice avec ses parents, elle s'était confiée à son professeur d'anglais, son professeur préféré, dans l'espoir qu'il saurait la guider. Mais ce dernier avait brisé la confiance qu'elle lui portait, reportant sa confession à ses parents et répandant l'information dans le corps professoral. Et ce qui était connu des professeurs fut bien vite transmis auprès des élèves...
La jeune fille changea de collège par trois fois, de lycée par deux fois. C'était là tout ce que ses parents faisaient pour elle, eux qui ne parvenaient pas à l'accepter complètement.
Où qu'elle allait, elle semblait destinée à ne pas trouver sa place, à être méprisée, humiliée, injuriée. Blackwell ne fut pas l'exception. Mais c'était la première fois que Riley assumait sa différence. Qu'elle l'exprimait avec force et défiait quiconque de la lui reprocher.
Elle était arrivée lors de son premier jour de classe avec un t-shirt imprimé LGBT, établissant immédiatement les choses. Elle n'allait plus rester honteusement dans le placard et accepter d'être piétinée. Elle garderait la tête haute, quoi qu'il puisse arriver. Quoi qu'on puisse lui dire. Quoi qu'on puisse lui faire.
Malgré les épreuves, Riley sortit de Blackwell avec un diplôme en poche, obtenu avec des notes impeccables et un dossier irréprochable. C'était sa victoire, sa revanche sur la vie. Elle en était sortie grandie. Du moins, c'était ce qu'elle pensait.
Riley avait déjà eu quelques crises d'angoisse ici ou là dans sa scolarité. Mais les attaques de panique qui l'avaient assailli en plein travail étaient d'une intensité toute autre que ce qu'elle avait pu expérimenter jusque là. Il avait suffi d'une visite dans un collège, dans le cadre d'un partenariat avec la bibliothèque pour laquelle elle travaillait, pour que les souvenirs l'assaillent et que la peur ne s'empare d'elle avec force et violence.
Les crises de panique s'étaient déclenchées de plus en plus souvent, posant un véritable problème pour la jeune femme qui se trouvait incapable de poursuivre son travail et de mener une vie autonome et fonctionnelle. A l'aide d'un suivi psychologique, elle avait compris que son passé l'emprisonnait. Que ce qu'elle avait subi l'avait profondément touchée. Et qu'elle devait trouver le courage d'affronter tout cela.
Il y avait bien des manières de se défaire de son passé. Riley avait choisi de s'y exposer, de retourner à la source de son mal pour y construire de nouveaux souvenirs, heureux cette fois : Blackwell Academy.
A 30 ans passés, Riley avait obtenu un poste de bibliothécaire au sein de la prestigieuse Académie, dont le principal était trop heureux de pouvoir accueillir dans son établissement l'une de ses plus brillantes élèves. Les premiers jours avaient été compliqués. Sans ses livres pour l'entourer et la rassurer, sans sa détermination pour se pousser à avancer, Riley aurait été probablement incapable de quitter le seuil de son appartement.
Mais elle avait trouvé le courage. Et les jours, les semaines, les mois s'étaient écoulés. Aujourd'hui, Riley n'a plus peur d'aller à l'école. Bien au contraire.
Attachée à sa bibliothèque et à ses élèves, Riley tente de faire de ce lieu un havre de paix, un refuge comme il l'a été pour elle. Elle espère pouvoir venir en aide aux élèves qui ont expérimenté des traitements similaires aux siens, mais ce n'est pas chose simple.
Autrefois adolescente, Riley est désormais dans l'autre camp, celui des adultes. Et, malgré toute sa bonne volonté, il est difficile pour les élèves de la voir comme autre chose qu'une figure d'autorité, qui prétend tout savoir de leur vie et diminue leurs peines, leurs souffrances et leurs difficultés...